Archive pour la catégorie Général

Les amants de Paris

mercredi 5 juillet 2006

On pique-niquait sur les bords de la Seine. Un brass-band s’exerçait, des dryades urbaines virevoltaient sous nos yeux, nos vidions entre amis quelques bouteilles de vin frais en sirotant la douceur du temps et l’aube de l’été au crépuscule du jour.

Puis on s’est séparés, qui vers le métro, qui sur son vélo, et nous qui partions à pieds pour encore boire un peu, dans ce tout petit pub où la Guinness est là, fidèle, depuis plus loin que je ne sais me souvenir. En grande conversation, sur tout, rien, nous, les autres, tant il y a à dire sur nos frères les humains.

À la fin de nos verres, il a fallu rentrer. La rue Clovis somnolait, bordée douillettement de maisons endormies. D’un bon pas nous parlions d’amour et de rencontres. Joviaux, on médisait de ces gens gentils, trop parfois, jusqu’à l’écœurement même, tellement qu’on les compare à ces bêtes en peluches du fond de notre enfance.

Un peu plus loin, un bruit.

Nous marchons, tranquilles, et nous en rapprochons.

Derrière les volets clos, par la croisée qu’on devinait ouverte pour offrir aux corps nus des amants endormis la dernière caresse d’une brise nocturne, on entend nettement, maintenant. Le choc rythmique des corps, et les cris redoublés de plaisir sans mesure d’une baise sauvage.

Au plus noir de la nuit, tout près du Panthéon, c’est là qu’on a trouvé le village des fuckounours.

Un cri dans la nuit

mardi 27 juin 2006

Vingt-sept juin. Après un printemps pourri, l’été a fini par arriver. Le soir, il fait tiède dehors, et la fenêtre est ouverte pour évacuer un peu de chaleur stagnante. Assis au bureau, je musarde sur le réseau dans un doux courant d’air frais. Tout est calme.

Soudain une clameur s’élève. Un cri de joie, primal. Une exclamation brève mais reprise par la foule dans chaque rue de la ville. Ouaaaaaaaaaaaais ! Un peu plus tard un autre, puis un troisième encore.

Maintenant cent mille gorges hurlent à la victoire. Cent mille bouches aux dents exhibées déchirent l’atmosphère. La meute s’enflamme et vocifère. Les cris de joie se muent en grondements. Le bruit dehors sent la haine et la violence déchaînées, et la peur ancestrale des hordes en furie étreint mon corps entier.

J’ai refermé la fenêtre, dernier rempart bien mince. Rentré dans mon cocon, à l’abri d’eux. Seuls leurs klaxons, maintenant, me rappellent que dehors, ils sont là qui ont pris possession de la rue. Ce sera une nuit en état de siège.

Anima dangereuse

lundi 26 juin 2006

Mon âme est vagabonde, elle flotte et fuit toujours. Chienne errante, sans maître ni collier, elle divague de plus belle, rétive à toute amarre. Elle ne sait toujours pas où se trouve son bonheur et regarde autour d’elle, hagarde.

L’anima indocile tire sur son entrave. Féroce, toujours sauvage, pour l’apprivoiser il faut la museler. Malgré les tentatives de la domestiquer elle demeure insoumise, et ses crocs sont aigus. Prêts à mordre les cœurs qui passent à leur portée, à se planter dedans et à les déchirer. Ta main qui la caresse, prends garde qu’elle ne la morde. C’est une bête dangereuse.

Vivement ce soir qu’on se couche

mardi 20 juin 2006

À une heure passée du matin, après avoir dévoré un morceau généreux de bon gruyère suisse[1], je me pose un instant devant le clavier, un déca brûlant parfumant les parages. Malgré l’épuisement d’une courte nuit suivie d’une longue journée, je viens encore une fois sacrifier devant vous au rituel d’écriture. Qu’importe l’heure, en fait, qu’importe la fatigue. Je me condamne moi-même à vivre sans repos tant qu’il ne sera pas temps. Je n’ai pas un instant à perdre, j’ai une vie à vivre, et je ne peux me résoudre à dire au revoir aux vivants pour rejoindre les ombres d’un sommeil sans rêves.

Qu’importe la fatigue. Un jour je serai mort et là je dormirai.


  1. le vrai, celui qui n’a pas de trous

Banlieue chaude

dimanche 11 juin 2006

L’après-midi se termine, écrasé de soleil. En face de moi, la vieille femme tricote un gilet de laine qui détonne par ce temps. Laide, trop maquillée. Le rouge s’étale en veinules capillaires dans les sillons des rides de sa bouche. Trop parfumée, c’est entêtant.

L’homme fatigué porte un costume sombre fatigué de forte laine. Comment fait-il pour tenir, par trente degrés à l’ombre, avec son chapeau épais ? C’est peut-être pour ça qu’il somnole. De son soulier s’échappe un lambeau de sac plastique de supermarché déchiqueté, en manière de chaussette. Il s’appuie sur sa béquille.

Des hommes et des femmes de toutes les couleurs tripotent leurs téléphones mobiles. Ça leur donne une contenance dans l’air surchauffé. L’enfant blonde raconte à sa mère blonde ses futurs voyages. Sa poupée blonde les observe, impassible.

Bus 304, Gennevilliers, juin 2006.

Électron périphérique

mercredi 31 mai 2006

Arrivé à Lyon par le train du matin, bondé à l’orée du week-end prolongé, je les avais rejoints pour déjeûner, puis nous nous sommes mis en route pour la maison familiale, perdue dans la campagne, isolée au point qu’il y faut mille acrobaties subtiles pour trouver le lieu et l’orientation adéquats chaque fois qu’on veut utiliser son téléphone mobile.

Nous allions être ensemble quatre jours, retrouvailles des copains, dix ans déjà qu’on fait les quatre cents coups. Ensemble. Eux naturellement s’assemblent, s’agencent, me semblent trouver chacun intuitivement son rôle, sa fonction. Machine qui glisse presque sans bruit, cliquetante, onctueuse comme le doux glissement d’une mécanique fine. Merveilleux orchestre des grégaires qui savent vivre en parfaite symbiose, qui l’ont appris tandis que je n’ai jamais su que graviter autour du noyau, à plus ou moins de distance, singulier, attaché et éloigné à la fois.

Les uns s’occupent du barbecue, les autres en cuisine concoctent des sauces succulentes, d’autres encore prennent un apéro bien mérité au retour des courses matutinales.

Au milieu d’eux je me débats, je m’agite, je m’épuise à chercher comment prendre part à cela. Je désespère de ce sentiment d’inutilité profonde. Et ce n’est qu’à la nuit noire, dans le silence de la maison endormie, que je trouve enfin une place. Je range les derniers verres, la bouteille presque vide de vieux malt, je m’assure que ceux qui dans quelques heures se lèveront tôt trouvent une table propre et vierge. Farouche et solitaire, je n’existe que seul au cœur de la nuit.

Passage avide

mardi 23 mai 2006

Les premiers jours du printemps s’envolent à tire d’aile. À bouchées doubles d’heures, je dévore le temps des soirées encore fraîches. Je me remplis la vie par soif inextinguible. Avide d’apprendre toi, ce que tu as été, et de te raconter comment je t’attendais. Avide d’inventer nous et d’écrire un futur où demain prend un s.

À secrets échangés au cœur de la nuit noire, pierre après pierre, on construit ensemble ce qui sera mais que les mots retenus ne savent pas encore nommer. Peut-être se poseront-ils ici lorsque je les aurai apprivoisés.