Archive pour août 2005

Les trottoirs de Broadway

samedi 27 août 2005

Nous venions d’atterrir, deux heures plus tôt, à l’aéroport JFK. C’était un après-midi de fin d’été et, tous les trois, nous marchions sur le béton défoncé des trottoirs de Manhattan, dégustant qui un bagel, qui un muffin en partageant une bouteille d’iced tea.

Avec l’habitude enracinée du piéton parisien, je m’ingéniais à traverser les rues sans vraiment tenir compte des feux, du moment que la voie était libre. Mon collègue enrageait, qui se sentait perdu dans cette ville étrangère et préférait attendre la bénédiction du signal lumineux avant de s’engager dans la traversée des larges artères. Le regard pétillant d’indiscipline légère, comme un poisson dans l’eau entre bitume et gratte-ciels, je l’attendais, hilare, de l’autre côté de la rue. Cela faisait deux heures qu’on était ici, et je m’y sentais bien, je m’y sentais chez moi.

Personne n’est étranger à New York. Personne n’est américain, bien sûr, les gens d’ici sont de toutes les couleurs, de tous les accents, ils n’ont pas les mêmes dieux, pas les mêmes yeux, mais ils sont tous d’ici et nous aussi participions de cet endroit un peu spécial. De cette ville cabossée de partout, aux trottoirs lézardés, aux façades de brique déchirées par le zig-zag des escaliers de secours, de cette grille parfaite… ou presque, des immeubles de verre et d’acier lisses et des roulottes à bagels au coin de la rue.

Nous sommes passés par Herald Square, au coin de Broadway et de la Sixième avenue (Avenue of the Americas). Quelques tables de jardin dans un coin de verdure, qui semblent presque incongrues au cœur du mouvement de la foule et de l’animation ininterrompue du quartier, accueillent celleux d’ici comme les gens de passage pour un moment de pause.

Nous marchions dans l’air idéal d’une belle journée d’août. Nous étions un peu citoyens de la capitale de l’univers.

Vous qui n’êtes pas des geeks

dimanche 14 août 2005

Vous qui êtes médecin, professeur, écrivain, hommes et femmes d’esprit et de cœur,
Vous pour qui la technique semble simple ou magique,
Vous qui nous demandez l’impossible, parce que vous savez que ce n’est pas à ça qu’on s’arrête,

Apprenez combien de sang et de larmes sont derrière tout cela.
Apprenez les heures sombres de ceux qui sont derrière la scène, dans la coulisse.
Apprenez le poids du résultat qu’on attend d’eux, et le poids de l’exigence qu’ils s’imposent à eux-mêmes, qu’ils choisissent comme leur honneur : faire en sorte que ça marche.

Sachez qu’ils luttent à chaque minute pour que tout ici fonctionne tout seul ; que ce qui marche tout seul ne le fait qu’à la force du poignet et de la vigilance constante des hommes qui veillent au chevet des machines.

Sachez qu’ils souffrent parfois de ne pas plutôt veiller les humains.

Plaisir des yeux

jeudi 11 août 2005

Justine livrait récemment aux regards concupiscents de son public attentif le récit anonyme d’un jeune homme sauvé par un pépito salvateur alors qu’il venait de tomber victime d’un râteau caractérisé.

Cette histoire, qui incidemment aurait tout-à-fait sa place dans la sympathique communauté potagère Rateaux sur Orkut), ce joli petit récit m’inspire une réflexion de fond dont on pourrait, je crois, utilement débattre ici.

Il s’agit de la question, cruciale encore en cette fin d’été, du pantalon-taille-basse-avec-string-qui-dépasse (ou butting, pour faire chic et sophistiqué dans les salons). Il est de bon ton, en tous cas dans certains des cercles que je fréquente, de s’offusquer de cette pratique en hurlant à la vulgarité provocante avec des petits cris de première communiante, tout en poursuivant par ailleurs avec entrain une discussion à bâtons rompus sur les sujets, sexuels ou non, les plus crus.

Et là, je dois m’inscrire en faux. En effet, en général, j’aime bien. Ces petites bandes de tissu qui tracent une fine ligne sur la peau, donnent à imaginer qu’on voit plus qu’on ne devrait. Elles invitent à rêver leur prolongement, leur continuation, évoquent sans montrer, tout comme l’invitation de la naissance d’un décolleté, ou le creux d’une aine dévoilé à la lisière d’un paréo diaphane. Ça peut être diablement érotique, et je revendique là le plaisir du voyeur urbain qui caresse du regard les peaux lisses des jeunes gens et des jeunes filles qu’il croise dans le métro, parce que c’est au moins aussi intéressant que de rester le nez dans son bouquin.

La provocation, la séduction, le jeu de ce qu’on montre et de ce qu’on suggère, c’est une discipline sur le fil du rasoir. Bien sûr, le piment est difficile à doser, et en excès il gâte le goût. Mais juste ce qu’il faut de piquant, c’est bien agréable quand même.

Paréologie

dimanche 7 août 2005

Thomas au paréo Hier au soir on a fêté l’anniversaire d’Artefact. Comme elle a une chouette terrasse où on peut faire des photos tranquillement sous le regard lubrique du voisin du dessus, je lui ai piqué son paréo Têtu et j’ai demandé à Melie de me prendre sous mon meilleur profil, pour participer au petit jeu proposé par Batims. Hop, c’est fait.

Anne honni m’a

vendredi 5 août 2005

Enfin, elle aurait pu. Elle me pardonne, je crois, elle me pardonne beaucoup, car j’ai cette chance insigne qu’on partage elle et moi une certaine tendresse pour la faiblesse humaine.

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La Marche en questions

mardi 2 août 2005

Melie m’a proposé de contribuer mon point de vue sur quelques questions qui lui ont été soumises au décours de la Marche des fiertés de juin. D’autres s’y sont également collé-e-s, voir leurs réponses ici.

Fierté et microsociologie

Je traite d’un coup deux questions connexes (la première et la dernière) :

S’agissant de « fierté », ne penses-tu pas que c’est antinomique avec la théorie selon laquelle on ne doit pas se poser la question de l’origine de l’homosexualité, dès lors que l’on ne se pose pas la question de celle de l’hétérosexualité ? Y a t-il une « fierté hétérosexuelle » ?

Certain-e-s disent qu’il ne faut pas rechercher la cause de l’homosexualité, au prétexte qu’on ne recherche pas celle de l’hétérosexualité : n’est-ce pas anti-scientifique ? D’accord par contre sur une reformulation de la problématique qui doit plutôt être : pourquoi certains sont ils hétéros, d’autres homos ?

Hétérosexualités, homosexualités, bisexualités, ce sont pour moi autant de catégories que l’on peut observer, constater, dans la palette des relations entre les êtres humains. De mon point de vue scientifique, il n’y a pas de tabou à s’interroger sur l’origine du fait anthropologique que ces pratiques sociales (j’entends par là micro-sociales) constituent. C’est justement dans cette perspective qu’on peut tenter une explication de l’émergence des revendications de fierté des lesbiennes, gais, bis et trans : en tant qu’on reconnaît la diversité des modes relationnels amoureux, sensuels, sexuels comme un fait des individus pris dans leurs relations les uns aux autres, et les uns à l’ensemble des autres, c’est-à-dire à la communauté.

Ce que signifie, à mon sens, la revendication de fierté, c’est la nécessité pour chacun d’être admis, dans le regard de l’autre, avec sa spécificité propre, en particulier avec ses modes relationnels. La nécessité d’être vu tel que l’on est (parce qu’à défaut de cela notre identité même, niée dans ses caractéristiques les plus fondamentales, serait niée, et par là c’est notre existence en tant qu’individus qui serait mise en danger).

À ce titre-là, on pourrait aussi bien légitimer une revendication de fierté hétérosexuelle d’ailleurs ; et à la rigueur de fierté d’humain en général. Pourquoi alors spécifiquement une manifestation de fierté des homos, gais, bis, trans ? Peut-être face à une majorité d’individus conformes à des schémas relationnels hétérosexuels qui se trouvent constamment donnés comme modèles, références, standards, comme normes finalement. Ceux-là reconnaissent dans leur entourage les interactions qui sont les leurs propres, et qui sont en même temps des archétypes ancrés profondément dans les constructions sociales dont ils font partie.

Dès lors qu’au contraire je me démarque des canevas archétypiques, j’ai besoin, moi animal social, que la réalité de mon fonctionnement soit reconnue et admise au sein du contrat social. La fierté, c’est la revendication que mon mode d’existence soit acté par chacun de mes semblables humains, alors même qu’il n’est pas nécessairement conforme au leur.

Fierté et exubérance

La Gay Pride ne va-t-elle pas l’encontre de l’intérêt des homosexuels en véhiculant l’image de « barjots extravertis et sans complexes » tout à l’opposé, me semble-t-il, de la réalité ? Ne serait-il pas bon de montrer de montrer que c’est souvent une souffrance, plutôt qu’un « choix » ?

Je crois que l’aspect festif et exubérant n’est qu’un aspect partiel de la Marche des fiertés, comme il n’est qu’un aspect partiel des communautés homo, a fortiori une observation très fragmentaire de la vie des gens qui se reconnaissent un peu, beaucoup, en plein dedans, ou à la marge de ces communautés. C’est une foule plurielle, composite, avec des jeunes, des vieux, des belles, des moches, des folles à paillettes, des garçons et des filles à l’air sage et triste, des ami-e-s qui marchent tranquillement sous le soleil, s’arrêtent à une terrasse pour regarder passer les chars pleins à craquer de danseureuses en folie… Ce sont des basses à pleins pots et des minutes de silence. Celleux qui veulent n’y voir que la réalisation de leurs préjugés y parviendront de toute façon. De l’intérieur c’est bien moins simple que cela. C’est la fête bien sûr, c’est une foule colorée, mais c’est aussi chaque année un grand papillon [1] beau et triste qui vole en silence au milieu du cortège.

Les associations

N’as-tu pas l’impression que les « assos », quelles que soient leurs bonnes intentions, renforcent la « ghettoïsation » en ne s’ouvrant qu’aux homos eux-mêmes ?

Joker, je ne suis pas du tout impliqué dans le milieu associatif homo, je ne me sens pas très bien placé pour répondre à cette question. Bien sûr, à partir du moment où un groupe défini par une affinité d’expérience vécue s’identifie et se structure en se dotant d’organisations associatives, elle accède à la qualité de communauté, et de là se ménage un « dedans » et un « dehors ». Maintenant, est-ce que l’existence même de cette ligne de partage (floue, perméable, mouvante d’ailleurs) est un prix inacceptable au regard du bénéfice apporté par l’existence des associations ? Je ne le pense pas – autrement elles n’existeraient pas ou plus.

Mariage et parentalité

Au lieu de faire des « plans media » (et l’on sait bien que ceux-ci ne retiennent que le « sensationnel ») au sujet du mariage gay et de l’homoparentalité, ne vaudrait-il pas mieux en utilisant le lobbying et les relais d’opinion, lutter contre les idées reçues et militer d’abord sur la protection sociale et patrimoniale du couple homo ?

Pourquoi l’action médiatique spectaculaire ne pourrait-elle pas être l’un des instruments, parmi d’autres, de l’action militante d’une part, de l’action pédagogique d’autre part (car c’est bien de pédagogie qu’il s’agit, c’est-à-dire d’un travail de fond et de longue haleine d’explication et de répétition, lorsqu’on parle de lutter contre les « idées reçues ») qui ont pour but de promouvoir la protection sociale et patrimoniale de chacun, qu’il soit homo, hétéro, bi, célibataire, en couple, en trouple…

Bien sûr, l’événement seul ne suffit pas. Bien sûr, c’est une arme à double tranchant, qui peut saisir l’opinion mais aussi l’effrayer. Bien sûr, le lobbying et plus largement l’action politique sont essentielles, parce que c’est par la seule action politique qu’il nous est donné d’infléchir la règle de droit qui régit la société, et que cet infléchissement est l’un des enjeux (mais pas le seul !) de la Marche des fiertés.

Il s’agit d’instruments d’action complémentaires, et les uns ne peuvent ni ne doivent se substituer aux autres.

Notes

[1] Photo chez Pyram.