Archive pour mars 2005

L’apprenti sorcier

jeudi 31 mars 2005

Les démons se sont tus. Les corps nus se sont mus l’un vers l’autre et connus. Explorés, découvrants et vibrants, parcourus l’un par autre, ils ont joué, résoné dans la nuit. Effleurés de la main, d’un souffle, d’un regard, ils se sont accordés dans le murmure d’un cri.

Quand ils l’ont entendu, petit matin blafard qui bruissait au-dehors, ils se sont endormis.

Tête en l’air

mercredi 23 mars 2005

En ce moment, j’égare tout. L’autre soir, en revenant de chez Gluon, j’ai oublié mes gants dans le taxi. Là, ils sont perdus de chez perdus. Lundi encore, la totale. Oublié le GSM à la maison, la carte Intégrale au bureau. Ça m’a coûté deux tickets de métro, que ça me serve de leçon.

Et puis on m’a demandé l’autre soir : Mais au fait… Qu’est-ce que tu as fait de ta timidité ?

Là, un blanc. C’est vrai qu’à ce moment-là j’avais la tête ailleurs, les yeux dans les siens et l’esprit occupé à courir après mes lèvres qui s’approchaient des siennes.

– Ah, ça, c’est une excellente question. Je perds tout, en ce moment, je suis si étourdi…

En vérité, je ne sais pas ce que j’ai bien pu en faire. On m’avait pourtant fait valoir, étant petit, l’importance vitale de bien ranger ses affaires pour éviter ce genre de mésaventure. Il fallait néanmoins se rendre à l’évidence. L’objet de la question demeurait introuvable. Il me semblait me souvenir, pourtant, l’avoir eue sur moi quelques heures seulement auparavant. Je me rappelais distinctement cette confortable petite coquille capitonnée à l’intérieur de laquelle sentiments, désirs et pensées s’ébattaient gaiement sans que rien ne transparaisse à l’extérieur. Cette image était si vivace que l’idée même de l’avoir perdue en chemin, sans m’en rendre compte, me laissait incrédule, pour ne pas dire dubitatif.

Et puis j’ai encore l’impression de retenir mes gestes, de choisir mes mots. De toujours conjuguer le sous-entendu avec le démenti plausible, de nourrir le paratexte de tout ce que la bienséance interdit au discours, de jouer du regard avec bien moins d’hésitation que des mots. Le pouvoir de la parole est tel qu’il me reste une vieille crainte de (me) blesser avec, fût-ce seulement par maladresse.

Peut-être est-ce pour ça – parce que je ne saute pas sur toutes celles et tous ceux qui me plaisent – que j’avais l’impression d’avoir gardé encore un peu de timidité. Mais finalement, je crois qu’elle s’est envolée pour de bon.

Les fantômes d’Auschwitz

jeudi 17 mars 2005

Ils ont été emmenés dans des wagons plombés. Ils ont été tatoués, leur chair réduite à un signe. Par le froid, la faim, la peur, on a voulu faire mourir leur âme, éteindre cette flamme au fond de leurs yeux. Mais humains ils étaient, humains ils sont restés. Hommes malgré les hommes, ils ont donné ce rien, c’est tout ce qu’ils avaient, pour ne pas voir mourir un frère, une sœur, un ami.

Quelques-uns sont revenus. Devoir de mémoire, envie d’oubli… L’un ou l’autre, pourvu que leur parole perpétuée, par un mot de souvenir ou par un mot d’amour, soit toujours le témoignage que c’est la vie qui gagne.

La fille de la Cité

lundi 14 mars 2005

C’était la fin de l’après-midi, pas encore le début du printemps. L’air était encore frais, mais plus glacé ; le jeune soleil de mars m’avait tiré de la torpeur dominicale où je me complais trop souvent.

Mes pas m’avaient mené quai de la Tournelle, et je quittai vers six heures du soir l’hôtel de Miramion. Aucune nécessité impérieuse ne m’imposait la hâte. Je flânai donc le long du fleuve, croisant ça et là un regard. Je m’arrêtai un moment pour admirer les patineurs du pont au Double. J’entrai dans Notre-Dame un peu avant l’office, et notai dans un recoin de mémoire une improbable perspective. Les volutes d’encens s’élevant dans la nef accrochaient la lumière, gaze fantômatique derrière laquelle chatoyait la rosace[1].

Toujours le nez en l’air, je me laissai porter par mes pas jusqu’à la place Dauphine. Les rosiers, bien taillés, dormaient encore du sommeil de l’hiver, et la façade du palais, rue de Harlay, s’était fait excuser le temps de se refaire une beauté[2]. J’empruntai enfin le grand bras du pont Neuf.

Je traversais le fleuve sans penser à rien quand je l’aperçus, dans la dernière demi-lune. Elle était là, simplement, assise sur le banc de pierre. Elle ne semblait pas écrire, dessiner, parler, ni même regarder. Absorbée en elle-même d’une telle intensité que j’en fus stupéfait.

Je m’arrêtai à quelque distance, à cet endroit à l’angle du pont et du quai où la vue est si belle. Mon regard glissa sur la surface de l’eau, vers le lointain, s’accrocha à la tour Eiffel tandis que je fredonnais un refrain nostalgique. Il revint vers elle, vers ses longs cheveux bruns caressés par le vent.

Ses yeux croisèrent les miens, puis de nouveau elle se tourna vers l’aval. Tandis que le courant emportait nos deux regards, je descendis dans le métro.

Notes

[1] Revenir avec un appareil photo.

[2] Vivement l’été.

C’est quoi ton bouquin, là ?

jeudi 10 mars 2005

Malicieuse Tilly… Au détour d’un billet – pour tester mon assiduité ? – elle m’a désigné pour être le prochain contaminé par le dernier virus qui sautille actuellement de carnet en carnet aussi sûrement qu’une grippe hivernale dans un métro bondé. C’est le new meme on the blog.

Trop joueur pour résister à une telle invitation, je la prends au mot, et je livre (le terme tombe à propos) céans quelques-uns des petits secrets de ma bibliothèque.

1. Combien lisez-vous de livres par an ?

Je ne sais pas, je ne compte pas… C’est difficile à dire parce que je picore beaucoup. J’ai souvent plusieurs livres en cours de lectures, et je leur consacre autant que faire se peut mes trajets en bus ou en métro, quelquefois un moment sous la couette avant que mes yeux ne se ferment complètement. Quelques instants secrets aussi, à des heures improbables où l’on me croit ailleurs. Tout cela ne suffit pourtant pas à faire de moi ce qu’on pourrait appeler un lecteur vorace. Bon an mal an, peut-être dix ou vingt nouveaux livres. Et chaque numéro de Pour la Science quasiment d’un bout à l’autre. Le reste du temps, je prends une page au hasard chez Prévert, Sempé ou Buzzati, un magazine acheté dans une gare ou un aéroport (cela fait partie du rituel des voyages), et je lis comme je vis, dans l’urgence et pour le plaisir.

2. Quel est le dernier livre que vous ayez acheté ?

Les Fragments d’un discours amoureux de Barthès. Et juste avant, dans le dernier colis Amazon, il y avait Obedience to authority (Stanley Milgram), récemment réédité, Si c’est un homme (Primo Levi) et La prostitution à Paris (sous la direction de Marie-Elisabeth Handman et Janine Mossuz-Lavau).

Il faudrait, dans l’idéal, que je lise plus vite, ou que j’achète moins de bouquins, parce que la pile « en instance de lecture » est actuellement croissante. Éprise de liberté, elle s’est déjà étendue bien au-delà de l’espace qui lui avait été initialement imparti, et menace d’étendre son emprise en-dehors des étagères qui la contiennent encore tant bien que mal. D’un autre côté, c’est là la garantie de pouvoir toujours bouquiner quelque chose de nouveau quand l’envie me démange.

3. Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

La maison aux mille étages de Jan Weiss. Ce roman fantastique traduit du tchèque commence dans un escalier. Un homme se réveille. Seuls deux choix s’offrent à lui : monter ou descendre. Point de portes ou de fenêtres, seulement un tapis rouge, des marches et des paliers. Et une obsédante lumière jaune au plafond lorsqu’il ferme les yeux.

Merci Bertrand pour me l’avoir conseillé ; merci Papa pour l’avoir déniché, alors qu’il n’est plus édité depuis bien longtemps.

4. Listez cinq livres qui comptent beaucoup pour vous ou que vous avez particulièrement appréciés.

Gödel, Escher, Bach de Douglas Hofstadter. C’est un voyage fascinant aux confins des mathématiques et de la logique. On gratte là l’une des dernières couches de la connaissance, pour toucher à certaines des questions les plus fondamentales accessibles à la pensée humaine.

Malevil de Robert Merle. Pour la force et la faiblesse des hommes.

Charlie et la chocolaterie suivi de Charlie et le grand ascenseur de verre de Roald Dahl. Je triche un peu, oui, mais cinq livres c’est si peu ! Je continue de le citer régulièrement : « Un peu de bêtise en saupoudrage, c’est le piment de l’homme sage. »

Leviathan de Paul Auster, lu quelques mois avant de voir l’exposition Sophie Calle au centre Pompidou.

Le dernier, et non le moindre… Ah, qu’il est cruel, ce questionnaire ! qui me force à choisir, à élire cinq opus seulement… et à laisser de côté tant d’autres lectures chères à mon cœur et à ma mémoire, à un titre ou un autre.

Belle du Seigneur, d’Albert Cohen. Pour toutes les histoires d’Amour.

5. À qui allez-vous passez le relais (trois personnes) et pourquoi ?

  • Roland parce que new meme on the block, c’est de lui que je le tiens ;
  • Sam parce qu’il est joueur aussi ;
  • Matoo parce qu’il m’a amené tellement de visiteurs que je lui dois bien ça !

J’aurais bien passé le témoin à Nico ou à SoK, mais ils n’ont pas encore sauté le pas et commencé leur blog. Gageons que ce n’est qu’une question de temps…

Ô temps, suspends ton vol

dimanche 6 mars 2005

Extérieur nuit. De petits groupes discutent sur le trottoir. Tu vas partir, mais j’ai pu te dire au revoir, alors il ne fait pas si froid. Nous parlons de tous et de rien en attendant que nos chemins se séparent. Une mèche tombe sur ton visage.

Maladroitement, ma main s’approche, l’écarte un peu et la repose sur ton oreille. Personne ne s’est aperçu de rien. Ai-je rêvé ? Tu n’as pas réagi, ne m’as pas repoussé, je n’ai pas croisé ton regard.

Longtemps, je n’ai pas su m’aventurer dans ce pays brumeux. Je n’ai pas su être ce funambule, j’avais peur d’affronter le vide en marchant sur le fil qui marque la frontière pour en savoir le contour. J’avais peur de l’instant où, parfois, les corps basculent.

Ce soir, pourtant, cette fraction de seconde, j’effleure ta peau du bout des doigts. Ce soir je me suis aventuré dans la zone des limites que l’on cherche à repousser, d’une main tremblante, d’un geste infinitésimal… Un de ces jours, peut-être, je te demanderai si tu te souviens de cet atome de temps.

C’est étrange comme le désir se manifeste par le moment où je franchis une limite. La main qui caresse, c’est la main qui transgresse.

Obsédé-e-s textuel-le-s

jeudi 3 mars 2005

Ça y est, j’ai plongé dans le grand bain de la blogosphère parisienne. Ce soir, c’était mon premier ParisCarnet, et j’ai rencontré tout plein de gens qui écrivent (ou imagent) (ou bruitent) compulsivement devant tout le monde. Bref, des blogueurs.

Arrivé presque à l’heure, frigorifié et avec une pointe d’appréhension tant cette première fois était un saut dans l’inconnu, c’est d’un pas résolu que j’ai franchi le seuil du Hall’s Beer Brewery. J’ai rapidement avisé une grande tablée bruyante composée de Cossaw, qui a dû capter le coup d’œil interrogateur que j’adressais à la cantonade à la recherche de mes camarades diaristes, puisqu’il y a répondu d’un haussement de sourcil qui en disait long. Il y avait là aussi Lewis Scarole, arrivé tôt aussi, avant que ne déferle le reste des troupes.

Je suis loin, bien sûr, timide comme je suis (sic) d’avoir parlé avec tout le monde. J’espère que Tilly ne m’en voudra pas trop de l’avoir assaillie d’entrée de jeu de questions de boulot, et qu’on prendra le temps la prochaine fois de parler un peu plus de musique et de chant. Pas loin, il y avait aussi les gentils garçons : Matoo, Gluon, Mr Peer et Ghalys. Ghalys dessine aussi bien que moi, mon carnet à spirale en conserve les stigmates. En parallèle, Mouche, assise sur la table, me faisait l’article sur Via Bloga, pendant que je sirotais ma (seconde) Guinness. Note pour plus tard : ne pas oublier l’idée du pense-bête. Penser aussi à extorquer de Mouche les photos de la soirée. Lolo² et FreakyDoll nous ont rejoints aussi.

J’ai migré un peu plus tard vers l’autre table, pour faire connaissance avec Veuve Tarquine, qui ne se laisse pas faire quand on la cherche, Chris, et quelques autres dont j’espère qu’ils me pardonneront de n’avoir pas mémorisé leur nom, étant arrivé à leur table alors que la conversation était depuis longtemps engagée dans son rythme de croisière. On évoquait les méandres de l’affaire Guillermito et un pot de Nutella accessoire à l’instance, facilement gagné par Veuve Tarquine au concours de pêche au troll.

J’ai aperçu aussi Kozlika, Laurent et quelques autres, avec qui j’espère causer plus longuement la prochaine fois.

Rendez-vous pris, chacun a regagné ses pénates. Fatigué mais heureux, plein de nouveaux copains, je vais rejoindre la douceur de ma couette chérie. Bonne nuit les petits.