Archive pour novembre 2008

2008, année 31 — Quatre du tendre

vendredi 28 novembre 2008

Il y a eu celle d’hiver. La soirée dont on s’est éclipsés, la musique chaude, la danse, son corps contre moi et murmurée à l’oreille l’envie d’arracher là tous nos vêtements. Il y a eu une nuit, un matin. Je savais encore aimer, je perdais le Nord aussi bien qu’autrefois. Elle m’a croqué, une gourmandise dont on ne fait qu’une bouchée. Je savais encore souffrir.

Il y a eu celle de printemps. Arraché à la torpeur d’une conversation que j’avoue avoir oublié, j’ai été entraîné à l’autre table. Mlle Toi, tu m’enjoignais de m’asseoir là, il fallait que je la rencontrasse. De fait, on a su vite, l’entre-deux des regards le criait en silence, que l’été serait chaud. Bientôt on a été trop près pour être honnêtes, faisant semblant de rien. Incapables d’attendre fût-ce seulement deux semaines, on n’a pu retarder l’instant où nos deux corps seraient encore plus proches.

Il y a eu celle d’été. Du premier soir je garde le souvenir de retrouvailles improbables, de Wittgenstein et d’une demande en mariage. Des semaines suivantes, l’affrontement sanglant d’un amour déferlant contre mes vieux démons défendant pied à pied leurs murs usés de temps.

Il y a eu celle d’automne. Si différente des autres, si différentes de moi. Enlacés avec la naïve fraîcheur des amours d’enfance. Douceur fragile et éphémère.

J’ai retrouvé mon errance mais elles m’ont appris. À aimer. À me laisser surprendre. À donner, à être aimé. À espérer. Quatre éclats de vie, quatre charbons ardents de plus au creux de moi.

Et tes yeux qui, au loin, veillent toujours mes mots d’un regard tendre.

Trente et unième petit caillou.

Les papiers du tiroir

dimanche 16 novembre 2008

Levé larborieusement, lendemain de fête. Je passe au magasin au dernier moment, il me faut deux cadeaux pour les anniversaires de cet après-midi. Il est juste avant moi dans la file d’attente de la caisse.

C’est un de ces hommes qui parlent trop. De la température, ici, il fait trop chaud dedans, mais trop froid dehors, on a tant de vêtements ! Il n’y a pas un vestiaire, ici ? Il devrait… Et des douches, vous avez des douches ? En Norvège, où il fait si froid, ils ont des douches dans toutes les entreprises, vous savez… La caissière, imperturbable, réprime un sourire devant la logorrhée.

Il sort sa carte pour payer. Il a sur la main gauche une vilaine blessure, probablement récente, pas bien cicatrisée. On dirait qu’on lui a planté un truc, là, profondément. Sous son blouson de cuir, un gros pull et un peu trop de gadgets électroniques accrochés autour du cou.

Il tend sa carte, donc. Mais il voudrait bien savoir d’abord : est-ce qu’il pourra revenir d’ici une heure, une heure et demie, pour payer d’autres achats avec ? Oui, bien sûr, pas de problème. La caissière le rassure. Enregistre son achat, une carte de téléphone, soixante euros de communication.

— Votre code, Monsieur, s’il vous plaît.
J’ai pas le code.
— Ah, mais sans code, heu, …
— J’ai une carte d’identité, j’ai un passeport en règle… je devrais pouvoir payer, avec ça, j’ai pas besoin de code !
— Oui mais il le faut quand même…
— Bon ne bougez pas, je vais appeler ma femme…

Allo… Tu m’entends ? (suffisamment fort pour qu’elle puisse entendre, où qu’elle soit, à l’autre bout du fil) Je suis à la FNAC… La F-N-A-C. Oui, j’achète juste un disque ou deux (tiens, moi je vois juste la recharge de GSM), j’en ai pour une heure, une heure et demie maxi. Est-ce que tu aurais le code de la carte ? Tu te souviens pas ? Le code de mon ancienne carte bleue… Ce serait pas 7308 ? Tu sais pas ? Bon, regarde dans les papiers du tiroir. Rappelle-moi, oui, il y a des gens qui attendent. Rappelle-moi dans un quart d’heure. Rappelle-moi vite, rappelle-moi vite, rappelle-moi vite.

— … Ah, elle est con, ma femme, elle a pas le code.
— Remarquez, vous, vous l’avez oublié aussi, hein, le code.
— Ah, oui, mais si vous saviez. Elle m’en fait voir. Ce matin encore, elle m’a foutu deux gifles, et puis elle m’a mis dehors.

Hé, collègue, la caisse elle me dit « Erreur de communication », là, je fais quoi maitenant ? Tu fais Échap, Efface, Efface, tu débranches, tu rebranches (tu fais la danse de la pluie et tu égorges un poulet sur le TPE).

C’est là que je me suis dit qu’on était vraiment mal barrés. Et j’ai changé de caisse.

Surveillance discrète

samedi 8 novembre 2008

Juché sur mon Vélib’, je me suis sagement arrêté au feu rouge, au coin des rues de Châteaudun et Lafayette. Elle était là, sur le trottoir. Arrêtée elle aussi. Mais elle n’attendait pas pour traverser, non. Elle restait là, et semblait se cacher tant bien que mal derrière les feux. Son regard attentivement braqué sur l’immeuble d’en face scrutait les portes de verre, le hall encore éclairé d’un immeuble de bureaux.

Qui était-elle ? Amoureuse jalouse ? Flic en civil ? Assistante dévouée d’un privé ancienne mode, one of a long line of good girls who choose the wrong guy to be sweet on[1] ?

Le feu est passé au vert et j’ai poursuivi mon chemin. Elle était toujours là.

Le lendemain, je suis rentré du boulot par le même chemin, et à peu près à la même heure. Je me suis arrêté au même feu. Et de nouveau elle a cillé quand mon regard a surpris le sien, toujours perdu au-delà des portes de verre de l’immeuble d’en face.

Je me demande ce qu’elle attendait. Qui. Je ne l’ai plus revue depuis.


  1. You can always count on me, in City of Angels.