Archive pour mars 2007

En attendant Godot

vendredi 23 mars 2007

L’espace est dépouillé. Une vaste étendue lisse et lumineuse, au fond un horizon vide. Un arbre. Même pas, un arbrisseau. Au bord une vieille palissade, et dans l’air un bruit de ville et de nature. La scène est baignée d’air urbain — ou plutôt péri-urbain. Trottoir, terrain vague… C’est là qu’ils attendent.

godot.jpgIls attendent un sauveur, un messie qui par ses conseils avisés les extrairait du trouble dans lequel ils se trouvent. S’il vient. Mais rien n’est moins sûr, d’autant qu’ils l’ont déjà attendu, peut-être bien ici même, peut-être bien hier. Ou avant-hier, ou un autre jour. Ils glissent et perdent pieds, et nous avec, tant les fils qui les accrochent à la trame du temps sont ténus. Ils sont à la dérive, ballottés sur un océan qui n’a ni début ni fin. Battus par l’inertie des nuits et des jours qui leur tombent dessus.

Pourtant ils ne sont pas seuls. Chacun avec ses travers, ils sont là l’un pour l’autre, l’un avec l’autre, quotidiennement. Ils partagent l’attente interminable ensemble, et avec l’un pour l’autre une infinie tendresse.

C’est le Godot du clan Kouyaté, une famille de très grands gens de théâtre et de conte burkinabè, avec notamment Sotigui, le vieux griot, que je revoyais sur scène pour la première fois depuis la Tempête de Shakespeare montée par Peter Brook, à Avignon en 1991. (C’était aussi les débuts sur les planches de Romane Bohringer, ah…).

À voir très vite, car c’est seulement jusqu’au 31 mars 2007.

En attendant Godot de Samuel Beckett, mis en scène par Hassane Kassi Kouyaté, avec Sotigui Kouyaté, Dani Kouyaté, Beno Sanvee, Moussa Théophile Sowie. À la Scène Watteau, théâtre de Nogent sur Marne, du 19 au 31 mars 2007. Rencontre avec l’équipe le samedi 24 après la représentation.

Une vie et une mort le temps d’un voyage en métro

vendredi 9 mars 2007

Odéon, après le ciné. Je descends le quai, je mate, à mi-parcours je tombe en arrêt sur elle. Grande rousse, cheveux épinglés sage, au téléphone.

Montés dans la voiture. Elle continue à parler, je suis tout près, capturé par sa voix vive. Je la bouffe des yeux pendant que son sourire me dévore. Vivante. Lèvres rouges encore, elle sort d’un bar à sangria du quartier. Parle sans doute d’une rupture récente et d’une fête future. Amitié. Raccroche.

Lui parler, excusez-moi, vous êtes lumineuse radieuse très belle votre voix est envoûtante du miel de l’or vos lèvres j’ai envie de te prendre dans mes bras…

Le sourire solaire disparaît. Adossée à la porte, impériale, marmoréenne, traits parfaits, impénétrables et dignes. Elle cherche du regard le nom de la station. Elle descend ?

Non, encore un peu la voir désespérément. La foule s’est clairsemée, je pourrais m’approcher. Arrêt suivant, elle s’avance vers la sortie, descend.

Descendre la rattraper lui parler une dernière chance.

Je l’accompagne des yeux sans avoir pu bouger, spectateur cloué là impuissant, douloureux disloqué immobile, accroché debout au milieu du train. Elle disparaît sans que j’aie pu croiser son regard.