Archive pour septembre 2005

La douche froide

mardi 27 septembre 2005

Cela fait maintenant deux semaines que le gaz est coupé.

Le réveil vient juste de m’arracher du sommeil. Je titube hors du lit, encore tout au souvenir de la douce chaleur de sous la couette. Dehors, l’aube est grise.

Le parquet de la chambre craque un peu sous mes pas. Puis le carrelage froid. L’air est glacé sur ma peau nue quand j’entre dans la salle de bain. L’éclat cru, impitoyable de la lumière électrique me hurle dans les yeux, m’arrache à la nuit et me appelle pour un jour encore la condition de celui qui va vivre.

J’entre dans la baignoire. Je sais ce qui m’attend. Je ne veux pas y aller, pas tout de suite, pas encore. J’attends une seconde ou deux. Je vole un minuscule répit.

Il faut pourtant le faire. C’est comme ça, pas le choix. J’ouvre le robinet. Ça y est, l’eau coule. Je passe la main sous le jet froid pour me convaincre de ce dont je suis déjà sûr. Nulle magie ici, nul défi à la thermodynamique. Je sais par cœur maintenant que ça ne va pas être agréable.

Sur les pieds, sur les jambes, elle griffe, elle saisit. Mais ce n’est que désagréable, ce n’est pas pire qu’une douleur soudaine à laquelle on s’est préparé. Sur les bras, elle mord, elle déchire, elle serre encore. Mais ce n’est encore que souffrir.

Alors je mouille mon sexe, mon ventre, mon dos. Et je manque m’évanouir, à chaque fois. Ma respiration se bloque, je la force à repartir, précipitée, désespérée. Je cherche l’air, je l’aspire aussi fort que possible, je me saoûle de lui pour supporter le froid et je sens un voile noir qui tombe sur mes yeux.

Je coupe l’eau. Le gel douche n’a pas du tout la même texture quand la peau est transie, dure de chacun des muscles qui frissonnent en-dessous. Je ne sens presque plus mon corps. Seulement cette impression pénétrante de froid à l’intérieur de moi. Le rinçage même est moins pénible, tant je ne perçois plus rien.

La serviette éponge est douce. Elle paraît presque tiède.

Parole de plombier

mardi 20 septembre 2005

Il avait dit « quinze heures ». J’ai été là, en avance, prêt à l’accueillir, sauveur qu’il était de ma tuyauterie défaillante. Je l’attendais, anxieux, plein d’espoir aussi. Presqu’une semaine déjà que ma douche était froide.

À quinze heures trente, je suis allé aux nouvelles. Il m’avait « oublié », il n’avait pas noté. J’étais déçu bien sûr, j’avais pris une demi-journée de congé. Spécialement pour lui, je sacrifiais mes vacances sur l’autel de l’artisanat parisien. Il m’a promis de me rappeler. Très vite. Une demi-heure tout au plus.

C’était à seize heures ce tantôt. Il fait maintenant nuit noire, et je sais que cet homme n’est pas sérieux. Il n’est pas professionnel. Il n’a pas de respect pour moi, son client, pas de respect pour son travail, pour son métier. Pas de respect pour lui-même non plus, tant il salit son âme à trahir ses mots, à cracher sur la parole qu’il a donnée.

Finalement je suis presqu’heureux qu’il ne soit pas venu. Je n’aurais pas voulu qu’il touchât ma chaudière.

Addendum – 21 septembre, 15:50, le téléphone sonne…

– Allô, bonjour, c’est pour l’entretien de la chaudière… [Non, c’était un dépannage sur une fuite de gaz. ]
– C’est un peu tard, vous deviez me rappeler hier avant seize heures pour convenir d’un rendez-vous, vous ne l’avez pas fait, j’ai contacté une autre entreprise.
Mais votre copine ou votre femme nous a dit de venir aujourd’hui !
– Je vis seul, Monsieur. Au revoir et bonne journée.

La fin de la sieste

dimanche 18 septembre 2005

Je suis revenu de Florence. Dans le train qui m’emportait de l’aéroport, l’excitation montait. Dans une demi-heure, je serais à la maison. Je terminais Madrapour de Robert Merle (lecture de circonstances pour un retour par transports aériens), tandis que je glissais vers la ville, les essieux bien huilés soufflant les minutes qui me séparaient de l’instant du retour, les joints de rail rythmant le parcours de la rame à travers les gares de banlieue presque toutes désertes à cette heure-là du soir.

Parvenu Gare du Nord, j’ai quitté le train. La maison était proche. Doucement euphorique, je dévorais des yeux chaque recoin connu dans le dédale d’acier, de béton et de verre. Avide de la cité. J’ai remonté les escaliers de la bouche de métro, j’ai aspiré une grande rasade de nuit. L’air était merveilleusement doux, curieusement parfumé, c’était surprenant tant Paris, d’habitude, sent plutôt la fumée des voitures ou cette odeur si particulière de l’enrobé poussiéreux qui recueille les grosses gouttes au début d’un orage estival.

Demain je retrouverai la ville de nouveau bruissante. Elle n’est plus écrasée par la chaleur d’août, vidée, fermée, recluse et temporairement absente. Elle s’ébroue, se rafraîchit, se dore une dernière fois au soleil avant l’automne. C’est la fin de la sieste, bientôt ce sera le soir.

Il est cinq heures de l’année. Paris s’éveille.

Escapade toscane

jeudi 8 septembre 2005

J’ai d’abord découvert Florence dans la tiédeur de la nuit. C’était le début de septembre ; j’arrivais de Milan par le train.

J’ai perdu mes pas dans ses ruelles, à la lueur des quelques réverbères. J’ai croisé sa jeunesse en innombrables grappes animées, assis sur tout ce que la ville compte de marches, de bancs de pierre et de margelles de fontaines tant de fois centenaires. Sous le regard débonnaire des vieilles statue, elle s’assemble le soir pour une bière entre amis ou un concert de jazz en plein air, Piazza Santo Spirito.

Aujourd’hui de nouveau j’ai battu le pavé, le nez en l’air. La pierre rugueuse de la cité, ocre, jaune, si chaude, m’entraîne dans les méandres organiques de l’Oltrarno. Une porte cochère dans une rue anonyme, une façade sans attrait… Oui, mais voilà, je suis curieux, la ville s’entr’ouvre, belle impudique, elle se laisse voir un peu.

C’est la cour d’une grande maison. Une fresque, des statues, m’attendent derrière la grille. On dirait qu’elles ont été mises là comme par malice, pour récompenser d’une friandise indécente le piéton qui aura détourné ses pas, l’espace d’un instant.

C’est comme cela, ici, qu’on vole des petits bouts d’éternité.

Premier café

dimanche 4 septembre 2005

La nuit a été courte. La sonnerie du réveil a déchiré le silence du matin cinq heures après que nos corps s’étaient abandonnés au sommeil. Peau contre peau, nous nous étions endormis sous la caresse d’un souffle d’air nocturne.

Je l’abandonne quelques instants pour préparer deux expressos. De la cuisine, je vois des taches de soleil qui jouent sur le carrelage. La maison bruisse du jour qui commence. Une dosette de mouture fine… Il faut bien tasser. De mes mains s’élèvent des odeurs de café et de sexe mêlées.

C’est le premier café du premier matin. Il fait beau dehors et dedans.

Nuit grise

jeudi 1 septembre 2005

Minuit. Il va falloir penser à finir les rangements et le ménage.

Une heure. C’est bon, c’est fait. Je vaque aux derniers rituels avant de me glisser sous la couette. Maintenant, lire un peu.

Deux heures, déjà. Éteindre vite. Dormir sept heures au moins. Et en attendant ne plus sentir ce cœur qui bat trop vite et trop fort. Respirer moins vite. Tout va bien, mes paupières sont lourdes, la fatigue est là. Le sommeil ne va pas tarder.

L’heure passe. Chercher une position confortable. Cette couette est trop chaude. Cet oreiller pas bien calé. Il fait noir et ce cœur cogne trop fort. Je n’arrive pas à faire le vide.

L’heure passe. Les « trucs » et les recettes aussi. Mais le ronronnement lancinant des bruits de la maison ne suffit pas à absorber mon esprit. Tac, poum, tac, poum. Le cœur, trop vite. Tac, poum, tac, poum. Les pensées, trop fort.

Trois heures. Le sommeil n’est pas là. Et soudain mes paupières se soulèvent sans effort. Les yeux grand ouverts, je fixe l’obscurité. C’est le signe que rester couché ne servira plus à rien.