C’était au début des années 2000. Ce soir-là, µ m’avait invité au théâtre. Nous nous étions installés dans la petite salle du Studio des Champs-Élysées, dans les tout premiers rangs. Sur la scène, un décor intimiste, deux pans entiers de mur couverts de rayonnages saturés de bouquins et de chemises obèses d’écrits entassés là, année après année. Nous étions chez Ruth Steiner, la vieille auteure juive new-yorkaise de Comme un écho. C’était l’adaptation française d’une pièce américaine, Collected Stories, de Donald Margulies.
Au fond de mon fauteuil, j’étais tout entier dans l’univers de l’écrivaine et de sa jeune protégée ; elle-même faisait revivre les souvenirs de celle qui lui tenait lieu de mentor, et dont elle relatait les souvenirs jamais publiés. Et puis elle raconta avec extase et délice « l’odeur *intoxicante » d’ail qui montait du restaurant d’en-dessous de ses fenêtres, et le mot a gratté dur sur mon tympan.
De toute évidence, la traductrice qui avait adapté le texte américain s’était pris les pieds dans un faux-ami bien connu : il y avait un vice dans la version. J’ai fait part de mon émoi à ma voisine. Quelque temps plus tard, ayant mis la main sur un exemplaire de la version originale, j’ai pu m’assurer que j’avais intuité juste : l’auteur avait effectivement écrit intoxicating, qu’on aurait dû traduire par « odeur enivrante ».
C’est à cette époque-là que j’ai définitivement renoncé à lire les auteurs anglophones autrement que dans le texte.
Une histoire vraie pour Coïtus Impromptus II, « Vice et version »
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