La fin de la sieste

18 septembre 2005

Je suis revenu de Florence. Dans le train qui m’emportait de l’aéroport, l’excitation montait. Dans une demi-heure, je serais à la maison. Je terminais Madrapour de Robert Merle (lecture de circonstances pour un retour par transports aériens), tandis que je glissais vers la ville, les essieux bien huilés soufflant les minutes qui me séparaient de l’instant du retour, les joints de rail rythmant le parcours de la rame à travers les gares de banlieue presque toutes désertes à cette heure-là du soir.

Parvenu Gare du Nord, j’ai quitté le train. La maison était proche. Doucement euphorique, je dévorais des yeux chaque recoin connu dans le dédale d’acier, de béton et de verre. Avide de la cité. J’ai remonté les escaliers de la bouche de métro, j’ai aspiré une grande rasade de nuit. L’air était merveilleusement doux, curieusement parfumé, c’était surprenant tant Paris, d’habitude, sent plutôt la fumée des voitures ou cette odeur si particulière de l’enrobé poussiéreux qui recueille les grosses gouttes au début d’un orage estival.

Demain je retrouverai la ville de nouveau bruissante. Elle n’est plus écrasée par la chaleur d’août, vidée, fermée, recluse et temporairement absente. Elle s’ébroue, se rafraîchit, se dore une dernière fois au soleil avant l’automne. C’est la fin de la sieste, bientôt ce sera le soir.

Il est cinq heures de l’année. Paris s’éveille.

Escapade toscane

8 septembre 2005

J’ai d’abord découvert Florence dans la tiédeur de la nuit. C’était le début de septembre ; j’arrivais de Milan par le train.

J’ai perdu mes pas dans ses ruelles, à la lueur des quelques réverbères. J’ai croisé sa jeunesse en innombrables grappes animées, assis sur tout ce que la ville compte de marches, de bancs de pierre et de margelles de fontaines tant de fois centenaires. Sous le regard débonnaire des vieilles statue, elle s’assemble le soir pour une bière entre amis ou un concert de jazz en plein air, Piazza Santo Spirito.

Aujourd’hui de nouveau j’ai battu le pavé, le nez en l’air. La pierre rugueuse de la cité, ocre, jaune, si chaude, m’entraîne dans les méandres organiques de l’Oltrarno. Une porte cochère dans une rue anonyme, une façade sans attrait… Oui, mais voilà, je suis curieux, la ville s’entr’ouvre, belle impudique, elle se laisse voir un peu.

C’est la cour d’une grande maison. Une fresque, des statues, m’attendent derrière la grille. On dirait qu’elles ont été mises là comme par malice, pour récompenser d’une friandise indécente le piéton qui aura détourné ses pas, l’espace d’un instant.

C’est comme cela, ici, qu’on vole des petits bouts d’éternité.

Premier café

4 septembre 2005

La nuit a été courte. La sonnerie du réveil a déchiré le silence du matin cinq heures après que nos corps s’étaient abandonnés au sommeil. Peau contre peau, nous nous étions endormis sous la caresse d’un souffle d’air nocturne.

Je l’abandonne quelques instants pour préparer deux expressos. De la cuisine, je vois des taches de soleil qui jouent sur le carrelage. La maison bruisse du jour qui commence. Une dosette de mouture fine… Il faut bien tasser. De mes mains s’élèvent des odeurs de café et de sexe mêlées.

C’est le premier café du premier matin. Il fait beau dehors et dedans.

Nuit grise

1 septembre 2005

Minuit. Il va falloir penser à finir les rangements et le ménage.

Une heure. C’est bon, c’est fait. Je vaque aux derniers rituels avant de me glisser sous la couette. Maintenant, lire un peu.

Deux heures, déjà. Éteindre vite. Dormir sept heures au moins. Et en attendant ne plus sentir ce cœur qui bat trop vite et trop fort. Respirer moins vite. Tout va bien, mes paupières sont lourdes, la fatigue est là. Le sommeil ne va pas tarder.

L’heure passe. Chercher une position confortable. Cette couette est trop chaude. Cet oreiller pas bien calé. Il fait noir et ce cœur cogne trop fort. Je n’arrive pas à faire le vide.

L’heure passe. Les « trucs » et les recettes aussi. Mais le ronronnement lancinant des bruits de la maison ne suffit pas à absorber mon esprit. Tac, poum, tac, poum. Le cœur, trop vite. Tac, poum, tac, poum. Les pensées, trop fort.

Trois heures. Le sommeil n’est pas là. Et soudain mes paupières se soulèvent sans effort. Les yeux grand ouverts, je fixe l’obscurité. C’est le signe que rester couché ne servira plus à rien.

Les trottoirs de Broadway

27 août 2005

Nous venions d’atterrir, deux heures plus tôt, à l’aéroport JFK. C’était un après-midi de fin d’été et, tous les trois, nous marchions sur le béton défoncé des trottoirs de Manhattan, dégustant qui un bagel, qui un muffin en partageant une bouteille d’iced tea.

Avec l’habitude enracinée du piéton parisien, je m’ingéniais à traverser les rues sans vraiment tenir compte des feux, du moment que la voie était libre. Mon collègue enrageait, qui se sentait perdu dans cette ville étrangère et préférait attendre la bénédiction du signal lumineux avant de s’engager dans la traversée des larges artères. Le regard pétillant d’indiscipline légère, comme un poisson dans l’eau entre bitume et gratte-ciels, je l’attendais, hilare, de l’autre côté de la rue. Cela faisait deux heures qu’on était ici, et je m’y sentais bien, je m’y sentais chez moi.

Personne n’est étranger à New York. Personne n’est américain, bien sûr, les gens d’ici sont de toutes les couleurs, de tous les accents, ils n’ont pas les mêmes dieux, pas les mêmes yeux, mais ils sont tous d’ici et nous aussi participions de cet endroit un peu spécial. De cette ville cabossée de partout, aux trottoirs lézardés, aux façades de brique déchirées par le zig-zag des escaliers de secours, de cette grille parfaite… ou presque, des immeubles de verre et d’acier lisses et des roulottes à bagels au coin de la rue.

Nous sommes passés par Herald Square, au coin de Broadway et de la Sixième avenue (Avenue of the Americas). Quelques tables de jardin dans un coin de verdure, qui semblent presque incongrues au cœur du mouvement de la foule et de l’animation ininterrompue du quartier, accueillent celleux d’ici comme les gens de passage pour un moment de pause.

Nous marchions dans l’air idéal d’une belle journée d’août. Nous étions un peu citoyens de la capitale de l’univers.

Vous qui n’êtes pas des geeks

14 août 2005

Vous qui êtes médecin, professeur, écrivain, hommes et femmes d’esprit et de cœur,
Vous pour qui la technique semble simple ou magique,
Vous qui nous demandez l’impossible, parce que vous savez que ce n’est pas à ça qu’on s’arrête,

Apprenez combien de sang et de larmes sont derrière tout cela.
Apprenez les heures sombres de ceux qui sont derrière la scène, dans la coulisse.
Apprenez le poids du résultat qu’on attend d’eux, et le poids de l’exigence qu’ils s’imposent à eux-mêmes, qu’ils choisissent comme leur honneur : faire en sorte que ça marche.

Sachez qu’ils luttent à chaque minute pour que tout ici fonctionne tout seul ; que ce qui marche tout seul ne le fait qu’à la force du poignet et de la vigilance constante des hommes qui veillent au chevet des machines.

Sachez qu’ils souffrent parfois de ne pas plutôt veiller les humains.

Plaisir des yeux

11 août 2005

Justine livrait récemment aux regards concupiscents de son public attentif le récit anonyme d’un jeune homme sauvé par un pépito salvateur alors qu’il venait de tomber victime d’un râteau caractérisé.

Cette histoire, qui incidemment aurait tout-à-fait sa place dans la sympathique communauté potagère Rateaux sur Orkut), ce joli petit récit m’inspire une réflexion de fond dont on pourrait, je crois, utilement débattre ici.

Il s’agit de la question, cruciale encore en cette fin d’été, du pantalon-taille-basse-avec-string-qui-dépasse (ou butting, pour faire chic et sophistiqué dans les salons). Il est de bon ton, en tous cas dans certains des cercles que je fréquente, de s’offusquer de cette pratique en hurlant à la vulgarité provocante avec des petits cris de première communiante, tout en poursuivant par ailleurs avec entrain une discussion à bâtons rompus sur les sujets, sexuels ou non, les plus crus.

Et là, je dois m’inscrire en faux. En effet, en général, j’aime bien. Ces petites bandes de tissu qui tracent une fine ligne sur la peau, donnent à imaginer qu’on voit plus qu’on ne devrait. Elles invitent à rêver leur prolongement, leur continuation, évoquent sans montrer, tout comme l’invitation de la naissance d’un décolleté, ou le creux d’une aine dévoilé à la lisière d’un paréo diaphane. Ça peut être diablement érotique, et je revendique là le plaisir du voyeur urbain qui caresse du regard les peaux lisses des jeunes gens et des jeunes filles qu’il croise dans le métro, parce que c’est au moins aussi intéressant que de rester le nez dans son bouquin.

La provocation, la séduction, le jeu de ce qu’on montre et de ce qu’on suggère, c’est une discipline sur le fil du rasoir. Bien sûr, le piment est difficile à doser, et en excès il gâte le goût. Mais juste ce qu’il faut de piquant, c’est bien agréable quand même.