Archive pour la catégorie Général

Dans ma tête j’entends la mer

mercredi 2 janvier 2008

Plouf.

Plouf. Plouf. Plouf.

Trente (et un) petits cailloux jetés dans les vagues. Et subsiste en-dedans un ballet d’ombres. Elles hurlent la nuit en silence, elles ont toute la place, c’est plein de vide, ici. Au fond, je me terre et je les regarde voler sans bruit. Je voudrais écrire leur portrait, aux hideuses créatures. Encorder de mots le faune et la faucheuse.

Mais devant le clavier je n’entends que la mer.

Ma journée chez les fous

mercredi 26 décembre 2007

C’était un hôpital psychiatrique de banlieue et elles s’ennuyaient ferme, de garde. L’omelette lyophilisée de l’établissement était la seule perspective culinaire que leur promettait le soir. La télévision jouait, ordinaire, à jeter des paillettes au vulgaire pour laver les esprits avant l’heure de la pub. Mon réfrigérateur, lui, débordait de restes succulents des agapes de la veille, et le temps d’un après-midi de Noël s’alanguissait devant moi.

On est donc convenus que je les rejoindrais muni des denrées dites et d’un jeu de tarot.

Le café réchauffé de la salle de garde nous a accompagné de partie en partie tandis que je perdais avec application. Je ne sais toujours pas très bien compter les atouts. Parfois par accident j’en gagnais une quand même. Parfois encore le bip du téléphone sonnait et il fallait alors que le Docteur s’en aille sauver les âmes des autres. Alors on papotait.

Puis l’heure est arrivée du gueuleton improvisé. La volaille grasse et tendre, les pommes de terre dorées, les fromages odorants (brie de Melun en tête) et le pain aux noix sont sortis du panier. On a dîné gaiement en jouant à dire du mal de nos contemporains et à se raconter, aussi, un peu les gens qu’on aime.

Vers la minuit enfin, je suis ressorti seul sous la pluie fine d’hiver. Je me suis calé là, dans la voiture à quai du métropolitain, et j’ai fini Lire aux cabinets.

Les fous étaient tranquilles cet après-midi là.

Ç’aurait pu servir un jour

dimanche 9 décembre 2007

Ça faisait bien deux ans que ces machins traînaient dans un coin de mon bureau.
Ça faisait deux mois que la date du déménagement était fixée.
Ça faisait deux semaines que j’avais fini par me résoudre à décider de les jeter.
Ça faisait deux jours que je les avais mis dans les grands sacs poubelles.
Ça faisait deux heures que j’avais reçu le mail : j’allais finalement en avoir besoin.

Ça faisait deux minutes que les poubelles avaient été descendues.

2007, année 30 — Gamin

dimanche 18 novembre 2007

Je tire toujours la langue sur les photos. Je fais toujours du vélo sous la pluie. Je suis toujours capricieux et inconstant. J’aime toujours les câlins et les gratouilles entre les oreilles. Je lis toujours des bandes dessinées. Mes amis collent des centaines de post-its dans tous les coins le soir de mon anniversaire. On liquide deux paquets de chamallows et une boîte de bonbons chimiques en lançant des cotons-tige sur le toit des voisins.

Aujourd’hui, j’ai trente ans.

Dernier de trente petits cailloux.

2006, année 29 — Pris de vitesse

dimanche 11 novembre 2007

J’étais arrivé seul au rendez-vous. Illes étaient presque tou-te-s là. On allait ensemble au spectacle. J’étais ravi de les revoir. Eux et elles. On est entrés et on s’est répartis dans les rangs successifs de fauteuils, rouge velours. Elle m’a attendu, s’est assise près de moi. Rien encore n’était dit, un regard extérieur n’aurait vu que deux spectateurs sur deux sièges voisins.

À la sortie le groupe a rejoint un bistrot du quartier. Il y a eu un instant suspendu avant qu’on prenne place tous autour de la table. Du coin de l’œil essayer de prédire chacun quelle place l’autre choisirait. S’attacher à ce que fortuitement l’on se retrouve côte à côte.

Puis on a commandé nos bières et parlé de choses et d’autres. J’ai souri, sans doutes. J’élaborais des stratégies subtiles, évaluais les signes, conjecturais les réactions prochaines. Je me demandais si…

C’est à ce moment-là qu’elle a posé sa main sur la mienne.

Vingt-neuf de trente petits cailloux.

2005, année 28 — Les âmes errantes

dimanche 4 novembre 2007

C’est la nuit. Elles et moi dans l’ombre, la lumière seule des écrans qui nous bercent, et nos mains caressent des claviers de plastique au lieu de s’attarder sur la peau nue de nos semblables. Envoie des mots comme des bouteilles à la mer. Rejoue du Polnareff, avec juste Internet à la place du Minitel.

Quand l’écran s’allume je tape sur mon clavier
Tous les mots sans voix qu’on se dit avec les doigts
Et j’envoie dans la nuit
Un message pour celle qui
Me répondra OK pour un rendez-vous

Et parfois on se rejoignait le temps de quelques nuit.

Jusqu’à l’été. Alors µ m’a présenté Dorine. Nous avons couru comme des enfants ce soir-là au pied du campus de Jussieu, mus par l’urgence de serrer nos corps, radieux de rire de l’envie simple l’un de l’autre. Nous avons profité ensemble de la lumière qui s’appelait Septembre et qui caressait Paris, les bords du canal Saint-Martin, les terrasses de Belleville et quelques autres coins qui n’étaient qu’à nous.

Dorine est partie, ensuite, pour d’autres cieux. Elle m’a laissé un bout d’elle et elle a emporté un fragment de moi. On n’a rien promis, on n’a rien prévu, et je suis resté là, suspendu seul au milieu de l’histoire. Toujours lié malgré la liberté dite.

Vingt-huit de trente petits cailloux.

2004, année 27 — La mort ne rate pas le dernier métro

dimanche 28 octobre 2007

J’ai improvisé. Une proposition indécente. Un prétexte pour passer un moment dans la petite chambre, sixième étage, pas loin. Rater le dernier métro exprès. Oublier opportunément qu’il y a des taxis et des bus de nuits que je connais bien. Saisir la proposition de rester dormir : c’était la fin de l’année d’avant.

J’ai aimé et j’ai été aimé. Sondé des abîmes que je ne soupçonnais pas. Construit un amour autrement que ce que j’aurais imaginé. Souffert, pleuré. Reçu des blessures dont les cicatrices me rappellent que je sais maintenant ce que je ne veux plus jamais. Appris.

Quand tout a été fini j’ai choisi que ce soir-là je transgresserais la règle de conduite que je m’étais fixée.

— Allô, S. ? Salut. Ce soir je suis très déprimé et je veux boire beaucoup trop.
— Pas de problème, passe quand tu veux.

(Merci d’avoir été là.)

J’ai vu la mort ricaner de pouvoir me faire le même coup en trop belle répétition, à deux ans d’intervalle. Au décours de la rupture, réclamer le grand-père. Il n’a pas eu le temps d’écrire ses mémoires. Je n’ai pas pris le temps de le questionner. C’est trop tard.

Cette fois, je sais qu’il ne faut pas omettre de préparer la cérémonie. Je ne veux pas revivre le silence glacé de la dernière fois, et j’insiste pour qu’on prévoit que quelque chose soit dit. Je sais qu’il faut que je m’y colle. Personne d’autre ne veut, ou ne peut. Et puis j’y suis tenu, quelque part. J’ai accepté silencieusement cette charge, la dernière fois, à la sortie de ce crématorium où il entre aujourd’hui couché entre les planches. Dans la chambre mortuaire il a l’air décharné, frêle, petit comme il n’a jamais paru au temps de mon enfance. Les morts dans leur bière me font toujours cet effet-là. Certains leurs donnent un dernier baiser, une caresse. La simple idée de leur contact m’horrifie.

La veille au soir, au creux de la nuit, juste avant de dormir, j’ai ouvert mon carnet. Celui où je collecte de temps en temps des trop-pleins d’âme ou des morceaux de rêve. Couvert deux ou trois pages que je vais lire devant eux. À peu de choses près, parce que dans l’instant les mots rétifs s’ébrouent et les tournures s’égayent.

Le livre s’est fermé. Il est parti.

Ma gorge se serre. Mes yeux pleurent, je sais, qu’importe, je ne tente pas de contenir cela. J’ai des mots à prononcer alors j’avance à travers larmes et tant pis si un sanglot déforme ma voix qui se voudrait assurée et vivante.

Le livre reste ouvert. Inscrivons-y son souvenir et traçons-y notre futur.

C’est bientôt l’automne.

Vingt-sept de trente petits cailloux.