Archive pour le 16 septembre 2007

1998, année 21 — Initiales

dimanche 16 septembre 2007

Ça se passe un soir d’été. C’était l’époque où on pouvait promener nos vingt ans dans la douceur de la nuit. Nous sommes quatre dans la foule, le nez en l’air, grisés de bruit et de lumière. Gamins émerveillés par le feu d’artifices du quatorze juillet. Il y a T. et sa copine. Il y a L. et moi.

Le feu d’artifices est fini, on se rapproche de la station de métro, sans se presser. C’est là que je m’aperçois qu’L. a glissé sa main dans la mienne. Je serre ses doigts sous les miens, elle sait que je sais. Le métro est bondé et nous sommes séparés de T. La foule plaque son corps contre moi. Je sens sa chaleur qui diffuse. Les mots ne sont pas utiles. Elle descend à sa station.

Dîner chez L. Son homme est là aussi. Je suis juste un ami. Il va se coucher tôt, pas nous, nous avons à parler. Dans la pièce voisine, il dort. Dans sa chambre, nous parlons. Aux petites heures du matin, on finit par s’assoupir. L. s’endort dans mes bras.

Quelques jours plus tard, à la Maison des élèves. En ce moment j’ai la chambre pour moi tout seul, mon copiaule est en stage loin. L. passe me voir dimanche après-midi et de nouveau se blottit dans mes bras. Et s’approche plus près encore. Et ses lèvres se posent sur les miennes. Et pour moi c’est la première fois.

Puis il y a cet autre après-midi désœuvré et chaud d’été. Mes lèvres dévorent son visage, nos langues se caressent, mes mains glissent sur son corps… Un bout de tissus après l’autre, je retire ses vêtements. Entre deux, j’attends anxieux sa réaction… Elle me laisse faire, patiemment. Elle nue contre ma peau. Ça y est. J’ai attendu cet instant. Elle m’offre le nom d’homme. Elle ne veut pas croire que, là encore, c’est la première fois.

L. m’a extrait du sommeil amoureux. J’ouvre un œil étonné, je désespérais que cela m’arrive. Je ne savais pas comment. Je ne sais toujours pas. Il fallait juste être là, ouvert à la fortune. On dîne, grande tablée d’amis, une nuit d’août. L. est partie en province.

µ est là que je n’avais pas vue depuis des mois. Elle revient à Paris. Elle est seule. Elle plaisante pour exorciser le passé.

— J’en ai marre des mecs, je devrais peut-être passer aux filles !
— Ah, j’ai peut-être ma chance, au moins j’ai les cheveux longs…

(Ça fait quatre ans que je les laisse pousser.) Rires.

Le dîner est fini. µ rentre à pieds, ce n’est qu’à un quart d’heure. Y. se propose de la raccompagner. Mais je sens ma chance unique ce soir. Il comprend, d’un regard. Lui ai-je laissé le choix ? Il me sourit, il s’éloigne. On s’en va. Comme si de rien était, µ et moi, côte à côte, on discute comme on en a l’habitude, intarissables, complices. On arrive chez elle. L’appartement est à nous, elle m’invite pour un dernier verre. De toute façon on sait très bien que j’ai raté le dernier métro depuis un bon moment.

Je savoure un vieux whisky. On papote de plus belle.

µ a un peu mal à la main, un bobo de rien. Mais je voudrais qu’elle ne souffre plus. J’y dépose un bisou magique.

C’est l’instant suspendu où je renonce à ne faire semblant de rien. Un point de non-retour.

Elle me met en garde. Elle n’est pas prête, pas maintenant. Pourtant je prétends que je sais quel risque je prends. Ou que j’ai conscience en tous cas que je prends là l’une des décisions les plus dangereuses de mon existence.

Elle se rapproche enfin de moi. J’apprends le goût de ses lèvres.

Vingt et un de trente petits cailloux.