21:14. Je quitte le bureau de vote. Pour cette fois encore, j’ai pu m’assurer de mes yeux, de mes mains, que l’on comptait sincèrement les suffrages exprimés. Pour encore combien de temps ?
21:30. Dans le métro, ligne 5. Debout sur la banquette, casquette vissée sur le crâne, il allume tranquillement son joint au milieu de sa bande de potes. Un homme se lève.
— Vous pouvez éteindre votre cigarette, s’il vous plaît ?
— Hé, tu veux quoi, tu travailles dans la RATP, toi ? Facho !
Trop-plein de violence catalysée, cristallisée, attisée depuis des mois. Ce soir met le feu à la poudrière soigneusement construite.
23:35. Ambiance de dernier soir. On en profite pour noyer la défaite et rire une dernière fois, tant qu’on en a le droit. Bière et rhums arrangés. Et puis on va récupérer au métro la copine militante qui revient de la rue de Solférino. Il ne fait pas bon lui parler politique, ce soir. Il vaut mieux ne pas évoquer l’absurdité de la liesse générale de ses camarades, comme encore pleins d’espoir il y a quatre heures de ça, alors que tous les chiffres qu’on se passait sous le manteau donnaient irratrappable l’écart accumulé.
01:30. Le taxi approche la place de la Bastille. On la repère de loin, à ses dizaines de fanaux bleus.
01:35. Boulevard du Temple. Pas moyen d’avancer sur la place de la République, la circulation est entièrement bloquée. Je terminerai à pieds. Gendarmes mobiles au Sud-Est, CRS au Nord-Ouest. La République est encerclée.
Un qui se souvient de 1981, et qui pensait à l’époque devoir entrer en résistance devant l’invasion bolchevique à nos portes et le goulag imminent, me dit que finalement il ne faut pas avoir peur, qu’on ne va pas perdre plus de liberté qu’alors.
Les temps ont bien changé, certes. Bien sûr, les français d’aujourd’hui ne sont finalement pas plus liberticides que ceux de ce temps-là. Pas de leurs propres mains, en tous cas. Ils ont sans doute mieux à faire qu’égorger nos filles et nos compagnes, ou bien il y a la Star Ac’ ce soir à la télé. Mais ils sont prêts à se laisser parquer et endormir, prêts à laisser à un pouvoir absolu et opaque le loisir de les mettre au pas. C’est ce qui me semble être en train de se passer.
Parce qu’il suffit en France de parler de « sécurité pour vos enfants » et de désigner un bouc émissaire, qui est forcément un Autre, pas toi, bon travailleur honnête qui aime la France et se lève tôt, il n’y a qu’à pointer du doigt un profiteur, un parasite, un coupable, pour faire accepter n’importe quelle mesure répressive. Et là il ne s’agit plus (seulement) de craindre les mois et les années à venir. Le processus est enclenché depuis longtemps déjà, et l’élection d’hier ne fera qu’en assurer la continuation et le durcissement.
Des mômes de 8 et 11 ans enregistrés à vie dans le fichier d’empreintes génétiques de la Police. Mes potes motards qui doivent déposer un dossier en préfecture deux mois à l’avance pour faire une balade entre copains. Un médecin africain qui ne peut pas participer à un congrès en France sans passer 30 heures en prison.
Les travailleurs immigrés qui se lèvent tôt pour nettoyer le métro, ce matin, faisaient grise mine.
Old soul
Très beau
RT @Scorpaena: [Blog] Old soul...
Ça valait le coup d'en l'attendre, ce...
Sept ans de réflexion
Un an plus tard Thomas, ce texte...