Melie m’a proposé de contribuer mon point de vue sur quelques questions qui lui ont été soumises au décours de la Marche des fiertés de juin. D’autres s’y sont également collé-e-s, voir leurs réponses ici.
Fierté et microsociologie
Je traite d’un coup deux questions connexes (la première et la dernière) :
S’agissant de « fierté », ne penses-tu pas que c’est antinomique avec la théorie selon laquelle on ne doit pas se poser la question de l’origine de l’homosexualité, dès lors que l’on ne se pose pas la question de celle de l’hétérosexualité ? Y a t-il une « fierté hétérosexuelle » ?
Certain-e-s disent qu’il ne faut pas rechercher la cause de l’homosexualité, au prétexte qu’on ne recherche pas celle de l’hétérosexualité : n’est-ce pas anti-scientifique ? D’accord par contre sur une reformulation de la problématique qui doit plutôt être : pourquoi certains sont ils hétéros, d’autres homos ?
Hétérosexualités, homosexualités, bisexualités, ce sont pour moi autant de catégories que l’on peut observer, constater, dans la palette des relations entre les êtres humains. De mon point de vue scientifique, il n’y a pas de tabou à s’interroger sur l’origine du fait anthropologique que ces pratiques sociales (j’entends par là micro-sociales) constituent. C’est justement dans cette perspective qu’on peut tenter une explication de l’émergence des revendications de fierté des lesbiennes, gais, bis et trans : en tant qu’on reconnaît la diversité des modes relationnels amoureux, sensuels, sexuels comme un fait des individus pris dans leurs relations les uns aux autres, et les uns à l’ensemble des autres, c’est-à-dire à la communauté.
Ce que signifie, à mon sens, la revendication de fierté, c’est la nécessité pour chacun d’être admis, dans le regard de l’autre, avec sa spécificité propre, en particulier avec ses modes relationnels. La nécessité d’être vu tel que l’on est (parce qu’à défaut de cela notre identité même, niée dans ses caractéristiques les plus fondamentales, serait niée, et par là c’est notre existence en tant qu’individus qui serait mise en danger).
À ce titre-là, on pourrait aussi bien légitimer une revendication de fierté hétérosexuelle d’ailleurs ; et à la rigueur de fierté d’humain en général. Pourquoi alors spécifiquement une manifestation de fierté des homos, gais, bis, trans ? Peut-être face à une majorité d’individus conformes à des schémas relationnels hétérosexuels qui se trouvent constamment donnés comme modèles, références, standards, comme normes finalement. Ceux-là reconnaissent dans leur entourage les interactions qui sont les leurs propres, et qui sont en même temps des archétypes ancrés profondément dans les constructions sociales dont ils font partie.
Dès lors qu’au contraire je me démarque des canevas archétypiques, j’ai besoin, moi animal social, que la réalité de mon fonctionnement soit reconnue et admise au sein du contrat social. La fierté, c’est la revendication que mon mode d’existence soit acté par chacun de mes semblables humains, alors même qu’il n’est pas nécessairement conforme au leur.
Fierté et exubérance
La Gay Pride ne va-t-elle pas l’encontre de l’intérêt des homosexuels en véhiculant l’image de « barjots extravertis et sans complexes » tout à l’opposé, me semble-t-il, de la réalité ? Ne serait-il pas bon de montrer de montrer que c’est souvent une souffrance, plutôt qu’un « choix » ?
Je crois que l’aspect festif et exubérant n’est qu’un aspect partiel de la Marche des fiertés, comme il n’est qu’un aspect partiel des communautés homo, a fortiori une observation très fragmentaire de la vie des gens qui se reconnaissent un peu, beaucoup, en plein dedans, ou à la marge de ces communautés. C’est une foule plurielle, composite, avec des jeunes, des vieux, des belles, des moches, des folles à paillettes, des garçons et des filles à l’air sage et triste, des ami-e-s qui marchent tranquillement sous le soleil, s’arrêtent à une terrasse pour regarder passer les chars pleins à craquer de danseureuses en folie… Ce sont des basses à pleins pots et des minutes de silence. Celleux qui veulent n’y voir que la réalisation de leurs préjugés y parviendront de toute façon. De l’intérieur c’est bien moins simple que cela. C’est la fête bien sûr, c’est une foule colorée, mais c’est aussi chaque année un grand papillon [1] beau et triste qui vole en silence au milieu du cortège.
Les associations
N’as-tu pas l’impression que les « assos », quelles que soient leurs bonnes intentions, renforcent la « ghettoïsation » en ne s’ouvrant qu’aux homos eux-mêmes ?
Joker, je ne suis pas du tout impliqué dans le milieu associatif homo, je ne me sens pas très bien placé pour répondre à cette question. Bien sûr, à partir du moment où un groupe défini par une affinité d’expérience vécue s’identifie et se structure en se dotant d’organisations associatives, elle accède à la qualité de communauté, et de là se ménage un « dedans » et un « dehors ». Maintenant, est-ce que l’existence même de cette ligne de partage (floue, perméable, mouvante d’ailleurs) est un prix inacceptable au regard du bénéfice apporté par l’existence des associations ? Je ne le pense pas – autrement elles n’existeraient pas ou plus.
Mariage et parentalité
Au lieu de faire des « plans media » (et l’on sait bien que ceux-ci ne retiennent que le « sensationnel ») au sujet du mariage gay et de l’homoparentalité, ne vaudrait-il pas mieux en utilisant le lobbying et les relais d’opinion, lutter contre les idées reçues et militer d’abord sur la protection sociale et patrimoniale du couple homo ?
Pourquoi l’action médiatique spectaculaire ne pourrait-elle pas être l’un des instruments, parmi d’autres, de l’action militante d’une part, de l’action pédagogique d’autre part (car c’est bien de pédagogie qu’il s’agit, c’est-à-dire d’un travail de fond et de longue haleine d’explication et de répétition, lorsqu’on parle de lutter contre les « idées reçues ») qui ont pour but de promouvoir la protection sociale et patrimoniale de chacun, qu’il soit homo, hétéro, bi, célibataire, en couple, en trouple…
Bien sûr, l’événement seul ne suffit pas. Bien sûr, c’est une arme à double tranchant, qui peut saisir l’opinion mais aussi l’effrayer. Bien sûr, le lobbying et plus largement l’action politique sont essentielles, parce que c’est par la seule action politique qu’il nous est donné d’infléchir la règle de droit qui régit la société, et que cet infléchissement est l’un des enjeux (mais pas le seul !) de la Marche des fiertés.
Il s’agit d’instruments d’action complémentaires, et les uns ne peuvent ni ne doivent se substituer aux autres.
Old soul
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