Marilyn, la dernière séance

22 juillet 2006

La première image, c’est la star endormie. Non, pas la star. La pose n’est pas apprêtée, pas avantageuse. Même pas grâcieuse. Elle pourrait vraiment dormir, épuisée de travail, d’alcool et de souffrance. De cadre en cadre, Marilyn s’éveille, s’amuse, joue avec l’œil de l’objectif, et à travers lui, avec moi. En star, costumée, poseuse. Ou en femme, le corps sans fard sous les voiles vaporeux, de courbes lisses et pures, irréel dans sa perfection.

Marilyn endormie en bleuNous parcourons la salle de cliché en cliché, jusqu’à être à nouveau devant le premier cadre. Marilyn dort toujours. Près de son visage, sa main est étendue. Son corps et son visage, maquillés ou pas, semblent perpétuer le souvenir de sa beauté. Ses mains, elles, disent tout haut ce qu’eux taisent, dissimulent. Elles ne savent pas mentir. Immobiles, elles témoignent en silence.

Les mains portent l’histoire de la marche du temps.

« Marilyn, la dernière séance » – Exposition au musée Maillol[1] jusqu’au 30 octobre 2006.


  1. 61, rue de Grenelle – Paris VIIe – métro Rue du Bac.

Discriminant

21 juillet 2006

En arrivant sur le quai du RER B, direction du Sud, je l’avais repérée. Jeune, un peu paumée peut-être, un peu rebelle sûrement. À son oreille, un bijou de corne dessinait un point d’interrogation. Je me demandais quelle question muette il pouvait bien lui murmurer.

Elle m’a abordé, son sourire brillant n’a fait de moi qu’une bouchée, pendant que je me noyais dans ses yeux. Elle m’a demandé quelques pièces parce qu’elle avait faim. J’ai levé les yeux au ciel, et raclé le fond de ma poche.

Non, habituellement, je ne donne pas de fric aux gens qui font la manche. Pour ne pas entériner le fonctionnement d’une société qui génère de la pauvreté, qui fait que des gens ont faim et que la redistribution ne va pas jusqu’à eux. Parce que je ne peux pas donner à chaque fois que je suis sollicité. Ou peut-être parce que je ne veux pas. Et parce que je ne veux pas non plus choisir, et alors être comptable de l’arbitraire de mon choix. Tranquille sérénité, à l’ombre du feuillage des grands principes centenaires.

Et puis je les ai croisés, elle, sa gueule d’ange, ses yeux qui me souriaient, son air adolescent, et je ne pouvais pas lui dire non, désolé, là j’ai pas de monnaie. Pourquoi elle, pourquoi pas d’autres, ailleurs, un autre jour ? C’est injuste, je sais. Il vaut mieux être jeune, beau et bien portant que vieux, laid et malade.

Vague à lame

17 juillet 2006

Il est des soirs comme celui-ci où le sens s’étiole. L’énergie du corps fuit, submergée dans l’effort, et l’âme qui ne sait comment trancher pour que ça fasse moins mal abandonne le combat. Lasse du combat intérieur, de la lutte ordinaire qu’elle se regarde jouer jusqu’à ce que le combat cesse faute de combattants. Lasse l’autre qu’on voudrait autre, ailleurs et autrement dans l’espoir vain que ce soit mieux là-bas.

Ensemble alors le corps et l’âme s’abandonnent au sommeil. Emportés par le ressac. Faire la planche quelques heures en attendant le jour pour nager au rivage et reprendre les armes.

Piscine, semaine 4

17 juillet 2006

Il y a des semaines avec, et puis il y a des semaines sans. Ce soir, je suis arrivé plus tard que prévu à la piscine, et du coup je n’ai pas eu le temps de couvrir la distance prévue. Enfin, au moins j’ai maintenu la petite avance entamée la semaine dernière (passer en-dessous de 3 minutes pour 100 m). Résultat : 700 m en un peu moins de vingt minutes. Je tâcherai d’arriver plus tôt la semaine prochaine.

Un pavé dans la mare

15 juillet 2006

J’avais répondu présent à l’invitation à dîner pour l’anniversaire d’El. Pas à cause de l’endroit, un restaurant de banlieue perdu au milieu de la forêt de Meudon, où l’on ne peut se rendre qu’en allant d’abord au bout du métro, puis en entamant un interminable périple par route, le bus d’abord, bondé et englué dans les embouteillages de fin de journée, puis la voiture particulière, car personne n’a jamais songé à faire venir les transports publics jusque là-bas. Pas pour El non plus, mais surtout pour les amis communs qui devaient être là.

El en fait nous avait fait faux-bond. On attendait F., dont la présence annoncée m’avait décidé à venir, tant cela fait de mois que je ne l’ai plus vu. Mais c’est El qu’on eut au téléphone. Comme souvent l’appareil circulait de mains en mains ; je l’évitai une première fois – j’aurais parlé pour ne rien dire et ça ne servait pas à grand’chose. Mais on insista et le combiné me revint.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je me plaçai en écoute flottante. À travers l’Europe, un fleuve de mots coulait sur un bon millier de kilomètres et inondait mon oreille. Je surnageai tant bien que mal, ponctuant d’un Mmmhhmmm les points qui me paraissaient articuler le discours. Ainsi s’écoulait la litanie de ses inimitiés familiales, ainsi se rejouait les minutes de l’audience où le linge sale familial avait été lavé en public.

Tu vois, moi, je n’ai plus de mère, là.

Alors l’écoute flottante a coulé à pic. Le téléphone me brûlait les mains, me déchirait le tympan, me brûlait jusqu’à l’âme. Sans haine, mais sans patience aucune, j’ai refilé le bébé à mon voisin d’en face. Ce n’est pas à moi qu’il faut sortir des choses pareilles.

Piscine, semaine 3

10 juillet 2006

Ce soir, malgré la fatigue, j’ai foncé. Arrivé à la piscine un peu plus tôt que les semaines précédentes, je suis parti bille en tête (un peu trop vite peut-être, je me suis rapidement dit qu’il faudrait modérer l’allure si je voulais tenir la distance minimale que je m’étais fixée).

Le verdict du chrono est indiscutable : à l’arrivée, j’ai réussi à conserver l’avance prise sur les premiers allers-retours. Du coup, j’en ai profité pour faire deux cents mètres de plus (et ce sera, bien sûr, le nouveau contrat minimal pour les séances suivantes).

Semaine 3 : 1,2 km brasse en 33 minutes. 50 m crawl, essoufflé comme c’est pas permis, mais je suis allé au bout quand même. Je crois que je vais bien dormir cette nuit.

Qu’est-ce que vous footez ?

9 juillet 2006

Ce soir j’avais besoin d’air et de lumière, de sortir pour ne plus être enfermé, oppressé dans ces quatre murs. Aussi, je n’ai pas hésité bien longtemps avant d’accepter la proposition d’Aurele d’aller faire un tour à rollers pendant le match. À la fois profiter de l’air du temps, et pouvoir fuir aussi les hordes de supporters déchaînés d’un coup de roues ou deux.

Pour le premier but, on était à Bastille. La foule débordait du bar. Un énorme pétard a volé, pour s’écraser à une dizaine de mètres du lanceur. Par chance extraordinaire, personne ne passait là à cet instant précis. Et puis ç’a été la clameur de la meute. But ? Non, pas encore… Coup de pied de réparation… Et Zidane a tiré… Et Zidane a marqué, et ce fut le chaos.

Juste devant moi, avec un air de satisfaction joviale, un jeune homme grimé en bleu, blanc, rouge balance gaiement de toutes ses forces une bouteille de bière sur le bitume. Elle explose en mille morceaux de verre vert, tandis qu’accroché dans le pavé je peine pour m’éloigner aussi vite que possible de la foule délirante. Nous filons vers le Nord, et ce n’est qu’arrivés aux limites de Paris, au pied des grands bâtiments de brique morts des Moulins de Pantin, que nous aurons échappé aux hurlements et aux exactions des sauvages aficionados.

Redescendus vers la gare de l’Est, nous croisons un groupe de jeunes qui haranguent les riverains.

Venez donc par ici… Regardez nos bouteilles, vous avez vu ? Tout-à-l’heure elles seront vides, ça fera de beaux cocktails Molotov…

Il est maintenant vingt-deux heures sept. Dans la rue, les cris continuent au rythme de l’action, couverts seulement par la plainte d’une sirène de pompiers. Les prolongations sont loin d’être terminées. La soirée n’est pas finie. Au moins, je suis rentré…

Vingt-trois heures treize Je lis ici et là que Zidane est sorti avant la fin… Carton rouge, pour violence volontaire sur un adversaire. La boucle est bouclée. La rue était bien à l’unisson du match.