Morts pour de rire

7 janvier 2015

Cabu. Charb’. Wolinksi. Tignous. Honoré. Dessinateurs.

Bernard. Économiste.

Elsa. Psychiatre, chroniqueuse.

Mustapha. Correcteur.

Michel. Invité qui passait par là.

Frédéric. Agent de maintenance.

Franck. Ahmed. Flics.

Les images ont tourné en boucle toute la journée et nous sommes groggy. Vous, vous êtes morts, lâchement assassinés, et nous sommes assommés. On ne peut pas y croire tellement c’est absurde, barbare. Assassinés froidement pour ce que vous avez dessiné, ce que vous avez écrit. Pour avoir fait rire, pour avoir dérangé parfois, pour avoir défendu toujours la liberté de moquer.

Ce soir nous vous pleurons comme nous pleurons la liberté qu’on blesse. Ce soir nous sommes Charlie. L’encre rouge de votre sang, c’est celui de la démocratie qu’on a fait couler. Ce soir nous vous pleurons, qui avez toujours été là pour nous, depuis tout gamins. Cabu, bordel. Le nez de Dorothée. Et puis Duduche, Camille-le-camé, mon Beauf.

Ceux qui vous ont massacrés voulaient vous museler. Nous museler, tous. Nous réduire au silence. Nous faire glisser inexorablement vers la peur insidieuse, celle qui pousse les moutons craintifs à abandonner les dernières parcelles de leur liberté pour l’illusion d’un peu de sécurité. Le travail est déjà bien entamé.

Nous vous devons le serment qu’on ne les laissera pas faire. Qu’on restera, debout, qu’on gueulera encore, des mots, des dessins, que tous les fanatiques et tous les obscurantistes seront toujours tournés en ridicule. Que nous resterons rétifs à tous les bâillons, à toutes les censures. Nous vous devons d’offrir demain à chaque enfant une feuille et un stylo, et de leur apprendre à s’en servir pour se foutre de nous. D’eux-mêmes. De l’autorité, des dieux et des prophètes.

Ils seront Charlie.

2015, note d’intention

3 janvier 2015

On dirait que ce serait une belle année.

On vendrait Le Loft et puis on achèterait notre Maison du Bonheur. Et puis comme ça Aurore aurait bientôt un petit frère ou une petite sœur. Peut-être même qu’elle finirait par se lasser de dire « NON » entre deux interprétations à tue-tête de Libérée, délivrée.

On dirait qu’avec la fine équipe des Shortrunners on ferait plein de courses pour de rigoler, tellement qu’on finirait dans le(s tréfonds[1] du) classement du Paris Running Tour.

On dirait qu’on se parlerait plus, qu’on s’écouterait plus, qu’on se verrait plus. Qu’on éteindrait un peu la télé et qu’on rouvrirait des bouquins, des cahiers. Ou des couettes, d’ailleurs, pour y dormir, ou pas, seul·e·s ou à plusieurs.

On dirait que cette année on serait plus présents à nous-mêmes et aux autres. Que ce ne serait pas forcément drôle tous les jours, mais que les bonheurs partagés, les sourires échangés, les clins d’œil entendus et les éclats de rire nous feraient tenir à travers les gués, les ponts de singe et les coups de tabac.

C’est ce que je vous souhaite, c’est ce que je nous souhaite à tous.


  1. mais on s’en fout

La liste des dix meilleurs

27 octobre 2014

Les copains, les copines, les amis, les amantes, tout le monde m’a taggé de partout, alors je m’y colle. Dix livres, dix seulement, qui m’ont marqué. Mais comment diable choisir, que retenir ? Les émouvants ? Les édifiants ? Ceux que j’ai aimés, dévorés, savourés ? Ceux qui m’ont appris ? Ceux qui me viennent, ceux qui me sautent au cœur quand je caresse les rayonnages d’un œil tendre ?

Sélection en forme d’inventaire à la…

  • Paroles, Jacques Prévert
  • L’Île, Robert Merle
  • Leaves of Grass, Walt Whitman
  • The Ethical Slut, Dossie Easton et Catherine A. Liszt
  • Chroniques martiennes, Ray Bradbury
  • Gödel, Escher, Bach, Douglas Hofstadter
  • Persépolis, Marjane Satrapi
  • L’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera
  • Oracle Night, Paul Auster
  • 1984, George Orwell

Baptème civil

30 mars 2014

On dit en Afrique que pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village. Parents, famille, alliés, voisins… qui l’entourent, l’aiment, le protègent, pourvoient à son bien-être, et finalement lui permettent de se construire et de devenir un individu autonome. Qui l’éduquent à la Liberté.

Il y presque deux ans (déjà !), presque tout ce village bigarré s’est réuni autour d’Aurore, et nous avons placé son épanouissement sous les auspices bienveillants de son parrain et sa marraine de cœur, sous les paillettes et dans la joie. C’était son baptème d’amour.

Mais nous voulions aussi qu’aux yeux de la Cité et de la République soit reconnue la place singulière qu’occupe au quotidien son parrain dans sa vie. Et ces trois mots, au fronton, nous parlaient encore un peu. Liberté, Égalité, Fraternité.

C’est donc là, dans la Maison commune, devant l’Officier de l’état-civil en écharpe tricolore, que tous les quatre émus et invités à lire l’acte, nous avons signé.

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Bird on the wire

15 mars 2014

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Like a bird on the wire
Like a drunk in a midnight choir
I have tried in my way to be free

Bird on the wire
Leonard Cohen

Ink: Chocos pour T.Times

Mais en fait, t’es qui ?

28 mars 2013

Ce jour-là, il y a quelque temps, je suis allé bosser en métro. C’était un de ces matins grisouilles, humides et encore froids, où l’hiver tient bon devant un printemps qui n’ose pas dire son nom. Ça ne motive pas pour enfourcher Belzébuth. Quand je suis monté dans le train, je l’ai remarquée, adossée à la porte opposée. Elle était plutôt jolie, brune et fine, l’air vaguement familière. De vagues réminiscences la raccrochaient à une soirée chez L., je crois, sans toutefois pouvoir en jurer. En tous cas elle m’a souri et m’a tapé la bise. Salut, comment tu vas ?

Zut. Zut zut zut. C’était quoi, cette soirée ? Elle avait un prénom ? Non, c’est pas A., elle lui ressemble un peu mais c’est pas elle. Zut, zut zut zut. Gagner du temps, small talk et cold reading en attendant qu’elle lâche par inadvertance une bribe d’information qui me permettra de repêcher son dossier dans les tréfonds de ma mémoire bordélique. Je me justifie maladroitement d’être là — ce n’est pas la station la plus proche de la maison, mais je viens de déposer Choupinette chez sa nourrice. Ah, oui, mumblemumblePèreLachaise, elle marmonne un truc indistinct, semble accepter mon explication.

Rha, je suis naze…, elle fait. Bon, ça veut dire que je suis supposé savoir ce qu’elle a fait hier soir, imaginer pourquoi elle serait fatiguée ? Je suppose que c’est le moment où la perplexité se lit sur mon visage en lettres de feu. C’est là qu’elle percute :

— Euh, excuse-moi, je crois que je t’ai confondu avec quelqu’un d’autre… Raphaël, il a deux filles, il vient de se séparer… Mais… tu as fait comme si tu me connaissais !
— Euh, oui, mais je sais que j’ai une mauvaise mémoire des visages…

Je suis du même coup soulagé, pour cette fois ma mémoire avait raison de me dire « inconnue au bataillon ».

Elle est allée s’asseoir, à la fois rigolarde et penaude. J’ai plongé dans mon bouquin en la regardant en coin. Quand je suis descendu on s’est souhaité Bonne journée !

Vrai travail

1 mai 2012

Étrange premier mai pour moi qui ai grandi en banlieue rouge, pour qui ce jour-là c’était celui des travailleuses, des travailleurs, et des brins de muguet. Les valeurs ont bien changé.

Le Vrai Travail selon Nicolas Sarkozy n’est plus celui que j’ai connu. C’est celui qui ne demande rien, ne revendique rien, pose les drapeaux et sert la France. Ouvriers, ouvrières, travailleurs : Vos gueules ! Soyez serviles, soyez dociles, courbez l’échine et dites merci, Nicolas s’occupe de tout. Le Vrai travailleur, aujourd’hui, souffre en silence et se satisfait de sa condition.

Quant à vous, fonctionnaires, enseignants, flics, payés au lance-pierre pour vous user la santé au service de la Nation, vous qui y laissez la vie : vous êtes des protégés, presque des assistés ! Ne mouftez pas !

C’est là le vrai visage de la Sarkozie future. À l’usine comme à l’école, travailleurs au service de l’industrie ou fonctionnaires, un seul mot d’ordre : crevez, mais en silence !

Ou bien dimanche prochain, faites du bruit.