L’art du pourboire

23 janvier 2007

L’art du pourboire, au décours d’une course en taxi, c’est pas forcément simple pour le client non plus. C’est un exercice de funambule que d’atteindre la synthèse délicate et complexe entre la monnaie que tu trouves dans ta poche (est-ce que j’ai assez sur moi, au fait ? est-ce que j’ai l’appoint ? Ah, mince, pas dans cette poche-là, bon il faut sortir le portefeuille, le Monsieur attend patiemment mais je me mets la pression tout pareil…), le feeling que tu as sur la qualité de la course, le choix raisonnable de l’itinéraire, et puis le contact avec le type…

C’est comme ça que samedi soir il m’est arrivé de laisser un pouboire largement au-dessus de ce que j’aurais voulu. J’avais demandé au chauffeur de me déposer au coin de la rue des Deux-Gares. C’est juste en face de la maison, ça fait bientôt quatre ans que ce coin-là, je l’ai sous mes fenêtres, je le connais bien. Des taxis qui m’ont déposé là aux heures noires improbables, il y en a des paquets. C’est une petite rue, alors au cas où, comme toujours, je lui signale suffisamment à l’avance « ce sera la prochaine intersection à droite ». Dans ces moments-là je me rappelle un peu l’époque de l’auto-école…

Et là, surprise et nouveauté : « Non, Monsieur, c’est pas celle-là, la rue des Deux-Gares ».

OK, c’est pas grave, je descends là quand même, de toute façon je suis à la maison. Le compteur indique six euros dix, je lui tends un billet de dix, il râle encore parce qu’il n’a pas la monnaie. J’ai dix centimes, si ça l’arrange. Non, visiblement ça ne l’arrange pas, il n’entend pas que je fasse sauter le pourboire juste parce qu’il prétend m’expliquer qu’il connaît mon quartier bien mieux que moi et ses dizaines de collègues qui m’ont déposé là avant lui.

Alors, prends ma thune, sombre crétin, rends-moi trois euros de monnaie, octroie-toi un bon pourboire en dépit de ton incompétence doublée de mauvaise foi. Je m’en fous, je suis à la maison, j’ai surtout envie d’aller faire un gros câlin à ma couette et pas de discuter avec toi pendant trois plombes. Tu es un filou de bas étage mais à cette heure-ci je m’en fous et je t’achète ma tranquillité.

Dixième nuit, 3 — Grange-aux-Belles

12 janvier 2007

Sur la passerelle de la Grange-aux-Belles, en sortant de l’Hôtel du Nord. Je veux quelques images, pour moi, pour me souvenir, et puis pour illustrer la note. Je cherche un point de vue.

Il est là, quelques marches plus haut, avec une bouteille de bière, son pote et deux verres. Est-ce que j’ai une clope ? Un sourire. Non, malheureusement, je suis désolé.

Il ne veut pas que je dise ça. Il me serre la main, parce que je n’ai jamais commencé. Cherche ses mots. Il ne connaît pas le dictionnaire par coeur. Il m’encourage, il me félicite, parce que je n’ai jamais fumé. Il est sincère, il parle avec ses yeux et son coeur. Comment tu t’appelles ? Youssef, ou Joseph. C’est pareil. Oui, c’est pareil. Et lui c’est Karim. Salut.

Youssef, il connaît bien les gens du campement, même si lui il est hébergé. Maintenant. Il ne sait pas pourquoi, dès qu’un journaliste passe dans le coin, c’est pour sa pomme. Pourtant il ne veut pas se mettre en avant. Il ne veut pas parasiter la comm’ de l’événement… Et puis, pudique, il en a marre de raconter son parcours.

Mais moi je ne viens pas pour le boulot. Juste pour moi, juste pour voir, parce que j’habite dans le quartier. Je ne sais pas vraiment ce que je pourrais faire. À son avis, pas grand’chose. Alors je viens voir. Si je ne peux pas faire autre chose, au moins j’aurai été témoin.

Je lui parle des belles promesses selon lesquelles cela n’existera plus d’ici quelques mois. S’il veut mon avis, c’est de la foutaise. Ça le fait rire quand je dis ça.

Allez, je vais faire quelques clichés avant de rentrer.

Salut, Youssef. Merci.

Dixième nuit, 2 — Quai de Jemmapes, quai de Valmy

11 janvier 2007

Entrée de l'ancien Hôpital militaire VilleminJ’émerge de la gare par la petite porte, rue du faubourg Saint-Martin. Bien sûr, le square Villemin est fermé la nuit, je fais le tour par la rue des Récollets. L’enceinte du parc conserve la grande porte de l’ancien Hôpital militaire. Enfin voilà le canal, celui où je déverse des cataractes de silence pour apaiser les soirs de tourment.

Campement au bord du canal Saint-MartinC’est un peu plus bas qu’ils ont posé les tentes, en descendant vers la République. Les toiles bordeaux sont sagement alignées, de ce côté-ci, quai de Valmy, et en face, quai de Jemmapes. Je descends lentement, laissant la rue entre nous. Je n’ose pas traverser, marcher à proximité des abris éphémères. Quelques tentes sont ouvertes, j’aperçois un regard. J’ai peur d’être trop près, comme de déranger des gens chez eux. Je voudrais bien m’approcher, parler un peu. Mais que faire, que dire ? Qui es-tu, toi ? Mais pourquoi te parler à toi plutôt qu’à ton voisin d’à côté ? Et qui suis-je, moi, pour venir faire un tour, vous « voir » comme une curiosité, vous tous qui aurez froid ce soir comme ceux d’avants et ceux d’à venir ? Moi qui dans une heure ou deux serai de retour, blotti sous une couette douce dans un appart’ chauffé ?

Arrivé au bout du camp de toile, je m’arrête un moment à mi-hauteur d’une passerelle. Du regard j’interroge l’eau noire du canal, mais nulle réponse n’en vient. Je traverse et remonte de nouveau le canal. Côté des tentes, cette fois, sans faire de bruit, pour ne pas déranger. Un homme arrange un plot de chantier devant sa tente, et je ne peux m’empêcher de lui lancer un « Bonsoir… » qu’il me retourne poliment. Je m’éloigne.

Besoin de me poser un instant. Il y a du monde et de la lumière à l’Hôtel du Nord, je m’installe dans un coin de la salle près d’une grande tablée qui bruisse d’alcools et d’amitié. En face de moi, quatre jolies filles trinquent au champagne. Ici et maintenant, les yeux fermés au monde qui, à deux pas, s’endort sur le pavé.

Dixième nuit, 1 — Gare de l’Est

10 janvier 2007

La maison était oppressante. Je voulais arrêter de tourner en rond entre la télé et l’ordinateur, les chimères des sites de chat et l’attente désespérée d’un mail qui ne serait pas un spam. D’un mail qui me soit adressé : attente désespérée d’un bout d’humanité. J’ai pris ma solitude et je l’ai sortie dans les rues de la ville — marcher un peu avec elle et ma déprime serrée sous le blouson.

Gare de l'EstLa nuit est douce, presque un air de printemps, je n’ai pas froid. À cette heure-ci, le hall de la gare de l’Est est quasiment désert. Dans la salle des billets, quatre ou cinq gamins profitent du sol de pierre lisse pour réviser d’impressionnantes passes de hip-hop. Ils s’éclatent dans mon champ de vision périphérique. Justement, le Canon est dans mon sac à dos. Je me suis dit en partant, plutôt le trimballer, quitte à ne pas m’en servir, plutôt que risquer de regretter de ne l’avoir pas pris.

Oui, mais voilà. J’ai la gorge nouée d’un malaise flottant. La mauvaise excuse d’une balade à l’objectif fixé à l’avance — pousser jusqu’au campement, au bord du canal — et puis, prégnante, la crainte d’avoir l’air con, faute de trouver les mots au-delà d’un « Hé, salut ! », me dissuadent. Je ne saurais pas demander si je peux voler leur image ; j’ai trop peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas faire honneur à leurs prouesses. De ne pas leur rendre justice. Peur de ne pas être légitime à les prendre en photo.

Seul un bout de rétine gardera leur image, seul un coin d’oreille recueillera leurs rires et le crissement du marbre sous leurs acrobaties.

Scoop

6 janvier 2007

Un soir de fin de vacances, vous avez passé la journée d’avant à ne rien faire que cuver votre réveillon et celle-ci à tourner en rond sans pouvoir vous décider à sortir faire quelque chose d’utile. Vous vous dites que ça commence à bien faire et que ce n’est pas parce que les amis sont aux quatre vents (et que de toute façon vous ne vous sentez pas l’énergie d’organiser quoi que ce soit) et que vous êtes seul à Paris ce soir que vous ne pouvez pas vous faire une bonne soirée ciné-resto.

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Écrire la date en haut d’une page blanche

4 janvier 2007

Mercredi 3 janvier 2007 souligné d’un trait de plume. Nouvelle année, nouvelle saison de Paris Carnet.

Sur le Wiki, il y avait écrit « Édition spéciale : tout le monde porte une cravate ! ». J’avais donc sorti l’un de mes plus jolis bavoirs de gala. Las, tout le monde s’est dégonflé. Seuls Denis, Eolas et moi avons relevé le défi, derniers remparts de l’élégance et du bon goût parisiens. Dommage, j’aurais bien aimé voir celle de Kozlika.

Je me suis joint enfin à la débauche de petits et gros appareils : ça y est, j’ai basculé du côté numérique de la chambre obscure. Des images en couleur ici.

Pendant que tout le monde mitraillait, Kerdekel câlinait la chatte de la maison, doucettement posée sur ses genoux. Je ne sais pas si la féline a un blog, auquel cas elle serait le premier blogueur non-humain du Paris Carnet (quoique Kerdekel pense que certain geek pourrait avoir des droits antérieurs sur le titre).

Quand l’appareil a été à court de batterie, j’ai laissé tomber le rempart de verre et de métal. J’ai recommencé lentement à chercher le regard des sourires amis — ça faisait bien des mois que je n’avais pas su. Revenez-y d’un soir de réveillon où on avait joué à ne plus faire semblant. J’ai de nouveau goûté à petites gorgées le plaisir d’être là et de parler un peu avec toi, toi et puis toi aussi avec ta caméra et tes questions tordues que finalement j’ai même pas fait exprès de dire des conneries. Vous m’avez trop manqué.

Deux mille sept vœux de bonheur

31 décembre 2006

En ces temps de vacances où ce blog est silencieux comme une plaine de campagne enneigée, non pas pour raisons météorologiques mais par suite d’hibernation de son auteur (il faut bien dormir de temps en temps, et en ce moment je rattrape tout le retard en la matière pris ces trois derniers mois), en ces temps de vacances, je vous souhaite à tous une heureuse année 2007.

Je ne fais pas de bilan, je ne prends pas de bonnes résolutions. J’ai juste envie de plein d’amour pour tout le monde.