1977, année 0 — Le Boléro

22 avril 2007

Je ne me souviens pas.

Elle m’a raconté, plus tard. Pendant tout le temps, elle avait eu dans la tête le Boléro de Ravel. Ça avait commencé tout doux, tout doux. Une petite mélodie discrète tout au fond d’elle. Et puis c’était monté, d’heure en heure. Ça avait pris corps, pris de l’ampleur. Plus dense, plus fort, alors que la nuit et le matin passaient. Et puis ça avait fini en explosion triomphale. Au moment des cuivres, j’avais poussé mon premier cri. J’étais né.

Zéro de trente petits cailloux.

Glisser un bulletin dans l’urne

20 avril 2007

Du fond de mon enfance je me souviens des dimanches d’élections. Un rituel immuable, la table des enveloppes, les bulletins, l’isoloir, et puis Papa et Maman allaient glisser l’enveloppe dans l’urne qui faisait Ding ! et le Président disait A voté !. Tout gamin déjà je pouvais voir comment ça marchait. Plus tard j’ai régulièrement participé aux dépouillements, compté et recompté les suffrages exprimés, les blancs et les nuls, soulevé à l’occasion les cas litigieux pour classer un vote douteux dans l’une ou l’autre des catégories de l’article L. 66 du Code électoral.

Après-demain encore, j’y serai certainement ; une fois de plus je pourrai me convaincre par contrôle immédiat et direct de ce que l’élection est régulière. En faisant confiance à mes propres yeux, je pourrai m’assurer de la légitimité de la représentation nationale. C’est ainsi que la démocratie marche.

Seulement, je voudrais bien que cela dure. Je voudrais qu’un jour mes (futurs) enfants puissent m’accompagner dans un bureau de vote, voir ces petits bouts de papier qu’on cache dans une enveloppe qui atterrit au fond d’une boîte transparente. J’aimerais que nous tous, citoyens de la République, puissions continuer à voir la manifestation sensible de la démocratie en marche. C’est pourtant une chose dont certains élus locaux et leurs partenaires industriels veulent priver les français en leur faisant utiliser des ordinateurs de vote : des boîtes noires informatiques au fonctionnement secret, aux plans jalousement gardés, qui seraient supposés enregistrer fidèlement les votes des électeurs, mais sans qu’aucun citoyen ne soit mis en mesure de s’assurer de l’exactitude ou de la sincérité du décompte.

C’est un vrai danger pour la République, pour une démocratie que ceux qui nous ont précédés ont gagnée puis défendue de leur sang. C’est une injure pour leur mémoire, une trahison pour leurs valeurs, une condamnation pour notre futur. Alors j’ai signé, et je vous invite à le faire aussi.

Pétition pour le maintien du vote papier.

Tout, tout de suite

17 avril 2007

Il y a eu en premier les amours jamais dites. Une photo sur mon bureau d’adolescent, mais jamais elle n’a su. Des années de secrets griffonnés, anonymes, sur les tables du lycée, et celle-là a fini par savoir. À demi-mots passés subrepticement en dédicace. Et ce fut la première qui m’a dit ça me touche beaucoup mais j’ai déjà quelqu’un.

Ensuite sont venues celles que j’ai attendues. Je les ai croisées sans savoir leur nom, mais jour après jour, sans même le savoir, elles ont pris leurs quartiers dans un coin de mon cœur. Chaque fois j’ai mis des mois à seulement leur parler, chaque fois un ami providentiel a fait un pont entre elles et moi. J’ai pris pied timidement sur ces passerelles ténues. J’ai fait tomber leurs gardes, les ai faites mes complices et je les ai aimées. Elles se reconnaîtront.

C’était en d’autres temps. Après, ç’a été autrement.

Suffit, le temps de la patience ! J’avais trop morflé, seul, enragé au miroir, hurlé au désespoir et à l’injustice de voir autour de moi celleux pour qui le bonheur semblait tellement facile. J’ai changé, un peu. Souri et écouté. Charmé, joué du regard, appris un soupçon d’effronterie. Navigué aux limites. Cabot(in)é parfois. J’ai perfectionné l’art de la perte de séparation, savouré cet instant suspendu qui précède d’un battement de cil celui où le démenti plausible va s’évanouir. Ce juste-avant du point de non retour. J’ai fait face quand il a fallu, j’ai recomposé en une fraction de seconde des sourires présentables quand des châteaux de cartes s’écroulaient dans mes tripes. Mais j’ai connu aussi l’oubli au monde lorsque je pose mes lèvres sur des lèvres inconnues.

Je les ai approchées de plus ou moins de mots. Accrochées d’un regard, d’un sourire échangé. J’ai joué mes yeux comme on abat ses cartes, au détour d’un silence, dans le temps d’une soirée. J’ai joué le blitz, à l’intuition, et ce furent des parties vite gagnées. Je les ai enchaînées avec une frénésie addictive, histoire de me remplir, de faire taire une bonne fois le vide au creux du corps.

Le vide a perduré. À avoir tout, tout de suite, à ne noter qu’en sténo la chronique de mes amours fragiles, j’ai collectionné les histoires en impasse. Foutues dès le début d’avoir été conquises sans prendre le temps de le perdre.

Était-ce cela, le prix pour que je finisse par apprendre ? Hâte-toi lentement.

Hissez haut (l’étendard de la Berryer)

11 avril 2007

La conférence Berryer revient avec les beaux jours, et avec un monstre sacré de la chanson française comme je l’aime, en la personne d’Hugues Aufray. Les infatigables secrétaires de la conférence ne connaissent pas de vacances et tortureront les candidats sur les sujets suivants :

  1. Doit-on chanter autour du feu ?
  2. Peut-on être mis au frais pour une fausse note ?

après avoir entendu Monsieur Arnaud Gris, onzième secrétaire, en son rapport.

La séance se tiendra le jeudi 19 avril 2007 à 21:00, à la Ve chambre civile du Tribunal de grande instance[1].

L’invitation se trouve ici. Il faut se munir d’un exemplaire par personne, et arriver bien à l’avance pour espérer obtenir une place assise.


  1. 4, boulevard du Palais – Paris Ier – métro Cité.

L’acte manqué

7 avril 2007

J’avais rendez-vous au théâtre à 18:45. Pas loin, juste cinq stations de métro. N’empêche qu’en m’en apercevant à 18:44, encore à la maison, il fallait faire vraiment vite. Appeler pour qu’on me réserve une place, faire vite, vite. Avoir de la chance pour le métro, et puis profiter du temps de battement habituel entre l’heure annoncée du spectacle et le moment des trois coups. C’était chaud, mais pas encore impossible, une bonne poussée d’adrénaline, seulement 2 minutes d’attente avant le prochain train. Je pouvais le faire.

Sauf que.

Sauf que la ligne 4, habituellement, je la prends vers le Sud, toujours, pour aller à Odéon, Saint-Placide, ou parfois Montparnasse. Et quand je cours sans réfléchir, c’est automatiquement sur ce quai-là que je me retrouve. Et là, le théâtre était au Nord. Quelle idée, aussi, de mettre un théâtre de ce côté-là. Je ne m’en suis aperçu que trois stations plus loin, abattu de rage d’avoir tant couru pour échouer en fin de compte. Je sais maintenant qu’on a l’air très ridicule quand on annonce au téléphone : « Ça va pas le faire, j’ai pris le métro dans le mauvais sens. » Il devait être écrit que je manquerais l’acte ce soir.

L’oxymore

2 avril 2007

La grande brune aux cheveux longs, on l’avait repérée de loin. Au milieur de la soirée étudiante, on la remarquait. Pulpeuse sans avoir l’air ronde, des formes généreuses à se damner que soulignaient un t-shirt moulant qui seul avait la chance d’épouser ses courbes. Elle nous attirait l’œil et nous tâchions de rattraper maladroitement notre langue. Baver d’envie en public, ça ne se fait guère.

Et puis elle s’est tournée vers nous, et on a été pétrifiés. Sur le galbe magnifique de sa poitrine s’étalait un slogan en larges lettres blanches. Printemps 2007 – Nicolas Sarkozy.

On a fini nos bières d’un trait pour se remettre du choc. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un oxymore incarné.

En attendant Godot

23 mars 2007

L’espace est dépouillé. Une vaste étendue lisse et lumineuse, au fond un horizon vide. Un arbre. Même pas, un arbrisseau. Au bord une vieille palissade, et dans l’air un bruit de ville et de nature. La scène est baignée d’air urbain — ou plutôt péri-urbain. Trottoir, terrain vague… C’est là qu’ils attendent.

godot.jpgIls attendent un sauveur, un messie qui par ses conseils avisés les extrairait du trouble dans lequel ils se trouvent. S’il vient. Mais rien n’est moins sûr, d’autant qu’ils l’ont déjà attendu, peut-être bien ici même, peut-être bien hier. Ou avant-hier, ou un autre jour. Ils glissent et perdent pieds, et nous avec, tant les fils qui les accrochent à la trame du temps sont ténus. Ils sont à la dérive, ballottés sur un océan qui n’a ni début ni fin. Battus par l’inertie des nuits et des jours qui leur tombent dessus.

Pourtant ils ne sont pas seuls. Chacun avec ses travers, ils sont là l’un pour l’autre, l’un avec l’autre, quotidiennement. Ils partagent l’attente interminable ensemble, et avec l’un pour l’autre une infinie tendresse.

C’est le Godot du clan Kouyaté, une famille de très grands gens de théâtre et de conte burkinabè, avec notamment Sotigui, le vieux griot, que je revoyais sur scène pour la première fois depuis la Tempête de Shakespeare montée par Peter Brook, à Avignon en 1991. (C’était aussi les débuts sur les planches de Romane Bohringer, ah…).

À voir très vite, car c’est seulement jusqu’au 31 mars 2007.

En attendant Godot de Samuel Beckett, mis en scène par Hassane Kassi Kouyaté, avec Sotigui Kouyaté, Dani Kouyaté, Beno Sanvee, Moussa Théophile Sowie. À la Scène Watteau, théâtre de Nogent sur Marne, du 19 au 31 mars 2007. Rencontre avec l’équipe le samedi 24 après la représentation.