Archive pour la catégorie Général

La fille de la Cité

lundi 14 mars 2005

C’était la fin de l’après-midi, pas encore le début du printemps. L’air était encore frais, mais plus glacé ; le jeune soleil de mars m’avait tiré de la torpeur dominicale où je me complais trop souvent.

Mes pas m’avaient mené quai de la Tournelle, et je quittai vers six heures du soir l’hôtel de Miramion. Aucune nécessité impérieuse ne m’imposait la hâte. Je flânai donc le long du fleuve, croisant ça et là un regard. Je m’arrêtai un moment pour admirer les patineurs du pont au Double. J’entrai dans Notre-Dame un peu avant l’office, et notai dans un recoin de mémoire une improbable perspective. Les volutes d’encens s’élevant dans la nef accrochaient la lumière, gaze fantômatique derrière laquelle chatoyait la rosace[1].

Toujours le nez en l’air, je me laissai porter par mes pas jusqu’à la place Dauphine. Les rosiers, bien taillés, dormaient encore du sommeil de l’hiver, et la façade du palais, rue de Harlay, s’était fait excuser le temps de se refaire une beauté[2]. J’empruntai enfin le grand bras du pont Neuf.

Je traversais le fleuve sans penser à rien quand je l’aperçus, dans la dernière demi-lune. Elle était là, simplement, assise sur le banc de pierre. Elle ne semblait pas écrire, dessiner, parler, ni même regarder. Absorbée en elle-même d’une telle intensité que j’en fus stupéfait.

Je m’arrêtai à quelque distance, à cet endroit à l’angle du pont et du quai où la vue est si belle. Mon regard glissa sur la surface de l’eau, vers le lointain, s’accrocha à la tour Eiffel tandis que je fredonnais un refrain nostalgique. Il revint vers elle, vers ses longs cheveux bruns caressés par le vent.

Ses yeux croisèrent les miens, puis de nouveau elle se tourna vers l’aval. Tandis que le courant emportait nos deux regards, je descendis dans le métro.

Notes

[1] Revenir avec un appareil photo.

[2] Vivement l’été.

Ô temps, suspends ton vol

dimanche 6 mars 2005

Extérieur nuit. De petits groupes discutent sur le trottoir. Tu vas partir, mais j’ai pu te dire au revoir, alors il ne fait pas si froid. Nous parlons de tous et de rien en attendant que nos chemins se séparent. Une mèche tombe sur ton visage.

Maladroitement, ma main s’approche, l’écarte un peu et la repose sur ton oreille. Personne ne s’est aperçu de rien. Ai-je rêvé ? Tu n’as pas réagi, ne m’as pas repoussé, je n’ai pas croisé ton regard.

Longtemps, je n’ai pas su m’aventurer dans ce pays brumeux. Je n’ai pas su être ce funambule, j’avais peur d’affronter le vide en marchant sur le fil qui marque la frontière pour en savoir le contour. J’avais peur de l’instant où, parfois, les corps basculent.

Ce soir, pourtant, cette fraction de seconde, j’effleure ta peau du bout des doigts. Ce soir je me suis aventuré dans la zone des limites que l’on cherche à repousser, d’une main tremblante, d’un geste infinitésimal… Un de ces jours, peut-être, je te demanderai si tu te souviens de cet atome de temps.

C’est étrange comme le désir se manifeste par le moment où je franchis une limite. La main qui caresse, c’est la main qui transgresse.

On se croirait en nivôse

mercredi 2 mars 2005

Encore un retour à la maison qui ne se passait pas comme prévu. Cette fois-ci, pas moyen d’aller dormir à Mitry-Claye. Mon RER s’était transformé en citrouille. Mais c’était un mal pour un bien.

Cette nuit, sur le boulevard Jourdan, il neigeait. Une voiture passait de temps en temps, déchirant à peine le velours épais du rideau cotonneux. Mon blouson blanchissait à mesure que les minuscules fragments de nuage glacé s’y écrasaient paresseusement.

La ville semblait vouloir me retenir dehors, me faire profiter encore un peu de la caresse aiguë de l’air hivernal. Elle voulait faire honneur au piéton esseulé. Elle a déroulé le tapis blanc.

Marque-pages

lundi 28 février 2005

Un ticket de bus
Un billet de train
La carte de visite d’un resto branché
La carte de visite de moi
Une photo de Nancy
Un papier important (retrouvé quelques mois plus tard, tranquillement endormi sur un rayon de bibliothèque)
Une feuille de PQ
Un barf bag Air France
Un signet publicitaire
Une enveloppe usagée (usage en compétition : liste des courses)
La carte de fidélité d’un CDAG

Ou juste corner la page (mais je n’aime pas meurtrir les livres).

Une première fois

vendredi 25 février 2005

C’était un soir de septembre, il y a un peu plus de huit ans. Je sortais de prépa, je venais d’obtenir l’école dont je rêvais depuis tout môme. Lui, il était plus âgé. C’est un copain que j’avais rencontré grâce à nos centres d’intérêt communs d’alors : l’informatique libre, les bouffes et les glous entre potes. Ce soir-là, justement, je revenais d’un miam impromptu. J’habitais encore en banlieue, j’avais dû probablement rentrer par le dernier métro.

Il était à peu près la même heure que maintenant quand son message est arrivé : « Encore debout ? 🙂 » C’était avant l’époque où j’ai découvert IRC. Alors, c’est par mail que la discussion s’est poursuivie. Nous évoquions gaiement les derniers outrages qu’il faisait régulièrement subir à ses machines. Il a alors protesté de la grande douceur dont il savait faire preuve. Et m’en a proposé une démonstration.

Je ne suis pas sûr d’avoir de prime abord compris ce qu’il voulait dire. Puis je me suis demandé s’il me vannait. Mais il m’a répondu avec sincérité, avec justement toute cette douceur qu’il ne montrait pas souvent, que oui, je lui plaisais, que si cela me posait problème je n’avais qu’à le dire et qu’il n’insisterait pas. Je n’ai su que répondre. Mal à l’aise de l’avoir pris à la rigolade, dans un premier temps, j’ai essayé de rattraper la situation du mieux que je pouvais. On est restés copains.

Ce soir, par hasard (ou presque), je retombe sur ces mails que je croyais perdus. Je suis ému. À huit ans de distance, je m’en veux de ma réaction. J’étais jeune, naïf, pas préparé — j’espère du moins pouvoir me prévaloir de ces circonstances atténuantes. Je n’étais pas intéressé. Mais j’aurais aimé mieux me comporter vis-à-vis du premier mec qui m’a fait une déclaration.

Petit tracas quotidien du caféinomane

dimanche 20 février 2005

Ce week-end, c’était décidé depuis longtemps, je devais ne rien faire. Cocooner, manger, dormir, geeker un peu en robe de chambre (juste un tout petit peu…) Il fallait bien cela pour me remettre des courtes nuits et du rythme effréné imposés par les vacances, le retour au boulot et la virée à Dublin. Or donc, fidèle aux techniques éprouvées d’auto-motivation, je décidai de récompenser d’un expresso de bon aloi l’idée brillante que j’avais eue de cliquer sur le truc, là, parce que du coup ça marchait beaucoup mieux.

Et c’est là que le drame se noua. Les fabriquants de café moulu sont vraiment des pervers. Ils s’arrangent toujours pour que, lorsqu’on arrive à la fin du paquet, il ne reste plus tout-à-fait assez de mouture pour une dose convenable. Je me retrouvai donc face au paquet agonisant et au dilemme cruel : « jeter les quelques grammes de café qui restent, ou bien tenter le mélange avec le paquet neuf qui trône juste là, mais qui n’est pas du tout de la même marque ? » J’enrageai intérieurement contre ces fourbes d’empaqueteurs qui pourraient avoir l’humanité de mettre dans chaque sachet un multiple entier de la petite cuiller doseuse.

Comme je suis un garçon intépide, je vais finalement tenter le mélange. Si c’est pas bon et que j’en meurs, ce sera leur faute.

Berceuse ferroviaire

jeudi 17 février 2005

Je dors bien dans les trains. La tête posée contre la vitre, j’écoute la caresse des essieux bien huilés qui souffle doucement, le tac-tac des joints de rail qui bat, lancinant, et mes yeux se ferment tout seuls. C’est même tellement naturel que, la fatigue (et une soirée un peu trop arrosée ? ahem…) aidant, j’oublie parfois de me réveiller pour descendre.

Alors, j’ouvre les yeux. Mitry-Claye. Le train ne bouge plus, les voyageurs sont descendus, rentrés, couchés. Un peu vaseux, j’ai oublié un bout du trajet, je ne me souviens plus comment je suis arrivé à prendre le RER. Rien sauf peut-être un flash-back hors contexte, la rencontre avec le métal glacé d’une poubelle publique. Je descends.

Devant la gare sans vie, l’horloge affiche presque deux heures du matin. Pas une ombre qui bouge, tout est vide, tout est glacé. Pour échapper au froid, la seule solution consiste à remonter dans le train fantôme, endormi à quai. On n’entend plus que la respiration du gros serpent d’acier, le souffle tiède de la climatisation. Je me cale au fond de la banquette, je me rendors quelques heures, baigné de la clarté bleuâtre des néons fluos.

Cinq heures. Paris s’éveille, une femme vient s’asseoir en face de moi. Elle aussi a dormi dans le train. Le signal sonore retentit. Dans la banlieue encore noire, on file vers Gare du Nord.

On y sera dans une demi-heure. C’était juste un petit détour.