Archive pour la catégorie Général

Marche au soleil

dimanche 26 juin 2005

Écrasé de chaleur, après une (fin de) matinée de promenade parisienne, j’étais encore indécis. Je revenais d’un petit tour entre Butte-aux-Cailles et place Dauphine, où les rosiers sont enfin en fleurs, mais où la façade du Palais de Justice est toujours en travaux. N’ayant rien prévu, je m’interrogeais. Marchera, marchera pas ?

Et puis Artefact a lancé un appel à motivation sur IRC. Alors, je me suis décidé, j’ai encore rentabilisé mon forfait GSM pour compter les troupes, et j’ai gaillardement chaussé de jolies pompes et une moche casquette, chargé ma besace d’une gourde d’eau et d’un flacon de crème solaire, au cas où. Et je me suis mis en route pour retrouver Artefact et les M&M’s, mes gouines préférées (les plus fondantes de Paris), au pied de la statue de Danton boulevard Saint-Germain.

Ponctuel au rendez-vous, j’attendais donc mon petit monde en sirotant une orange pressée bien fraîche lorsque j’ai vu passer un barbu dont la tête me disait quelque chose. C’est lui ? C’est pas lui ? Je n’ai pas confiance en ma mémoire des physionomies, je doute toujours avoir reconnu quelqu’un ou pas, et j’appréhende plus que tout la situation ridicule dans laquelle je me trouverais si je m’étais trompé en croyant identifier une personne. Réciproquement, j’ai aussi peur de me trouver quelque temps plus tard en face de la même personne, cette fois dans un contexte où son identité ne fait aucun doute, et de m’entendre dire « tiens, on s’est croisés il y a quelques jours, mais apparemment tu ne m’as pas reconnu ».

C’est pour ça que le plus souvent, quand je crois reconnaître quelqu’un dans le bus, dans le métro ou dans la rue, je m’arrange pour éviter le croisement des regards, et je fais l’autruche pour pouvoir prétendre que je n’ai rien vu si d’aventure l’autre m’a vu et m’en fait part plus tard. Cela permet aussi d’éviter l’angoisse de n’avoir rien à se dire, cette angoisse prégnante qui m’a longtemps rendu insupportable la simple idée d’aller prendre un verre en tête à tête avec un copain, une copine ou une simple connaissance, juste pour papoter.

Or donc, passait le barbu, et je m’interrogeais encore sur cette tête connue quand, coup de chance, il a sorti sa pipe : j’ai pu en toute confiance héler Laurent qui, lui aussi, passait dans le quartier, et qui m’a fait promettre d’être du prochain pique-nique ParisCarnet (moi je suis tout-à-fait partant !) J’attendais donc mes cops, cependant que Laurent se dirigeait vers le parcours de la marche, boulevard Saint-Michel.

Quelques minutes plus tard arrivaient enfin Melie, Marie et Artefact. Nous nous sommes alors mis en marche rejoindre le défilé. Sous le soleil de juin, nous avons remonté la parade de jolies filles et de beaux garçons.

Au passage j’accroche quelque regards, échange quelques sourires. Ah, la demoiselle à rayures. Un de mes grands fantasmes. Puis l’éphèbe du char du Banana, hâlé, imberbe, superbe, lunettes miroir et un torse sur lequel j’aurais bien fait glisser mes doigts… Complicités échangées l’espace d’un quart de seconde, qui font chaud au cœur à chaque fois, mais qui n’iront pas plus loin parce que je ne suis pas encore capable d’aborder un-e inconnu-e dans la rue pour lui proposer… je ne sais pas… d’aller prendre un verre… de se revoir… ou de l’embrasser là comme ça au milieu de la foule…

En remontant descendant parcourant vers le Sud le boulevard Saint-Michel, nous sommes successivement rejoints par deux copains, dont l’un nous fera plus tard bisquer en se faisant inviter, pistonné qu’il est, sur le char de FG. Nous continuons à pieds, nous, et nous arrêtons finalement place de la Sorbonne pour siroter quelques boissons fraîches en mangeant des p’tits chimiques. J’en ai profité pour subtiliser l’appareil de Melie et prendre quelques clichés des M&M’s.

Chacune, chacun est finalement rentré chez soi, après avoir admiré l’efficacité de la horde de camions verts de la Voirie (chapeau, les gars !), les pieds et le dos un peu endoloris, mais content-e-s d’avoir marché la tête haute (et le postérieur trémoussant) sous le soleil de juin.

Futur antérieur

lundi 20 juin 2005

Je m’efforce de vivre sans regrets.

Aurele, lui, accepterait un retour en arrière pour changer, en un point critique, le cours de sa vie.

Pour ma part je partage l’avis de Melie. J’ai un seul regret (la première peine de cœur que j’ai causée à quelqu’un), mais j’ai vécu tant de choses merveilleuses que je ne voudrais pas échanger cette vie-là contre une autre qui n’aurait peut-être pas été meilleure.

Par ailleurs, bien des carrefours de ma vie, bien des événements qui l’ont déterminée et en ont infléchi le cours, sont des jeux de hasards, des amours improbables nées aux petites heures de quelques matins tièdes, ou des croche-pieds vicelards de la camarde qui décide d’emporter n’importe qui, n’importe quand. À ces carrefours-là, on ne choisit pas la direction qu’on prend. On s’efforce de marcher quelque part et c’est déjà pas mal.

Je ne t’aiderai pas

jeudi 16 juin 2005

Tu sollicites de l’aide pour mieux haïr à tout jamais ce que tu as chéri.

Je ne veux pas t’aider. Pas à cela.

Tu n’as qu’une vie à vivre, et préserver la rancune, laisser le couteau dans la plaie pour pouvoir le retourner de temps à autre, ne la rendra pas plus belle. Durcir, un peu, mais pas trop, ton cœur d’artichaut, le blinder pour l’empêcher de souffrir, cela peut être un mal nécessaire. Jeter du sel sur la plaie, par contre, cela ne la guérira pas plus vite, et c’est faire fausse route.

Tu peux détester celleux qui détruisent tes rêves, déçoivent tes attentes, tes espérances par leurs faiblesses, leurs errements, leurs égarements, ou simplement en vivant les vies que le hasard et la nécessité leur font. Ou tu peux les aimer d’êtres faibles, errants, égarés, juste vivant-e-s. Tu peux les aimer d’être elleux.

Tu peux te souvenir de m’avoir accueilli, de m’avoir écouté, un soir noir, froid d’automne, chaud de larmes. Elle fait une grosse connerie, sans doutes. Mais il le faut. Elle en a besoin. Son histoire l’exige, s’y opposer serait la détruire.

Tu peux chercher un peu d’inspiration chez Rudyard Kipling :

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre;
[…]
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent;
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant;
[…]
Tu seras un homme, mon fils.

Tu peux compter sur l’amitié.

Gravitation universelle

jeudi 16 juin 2005

« Qu’est-ce qu’être amoureux ? Le suis-je ? »
Interrogation constante qui serre le cœur des humain-e-s.

Je n’ai pas de recette pour répondre à cela. Je ne crois pas qu’il y en ait. Cela fait partie de la nature humaine d’être incapable de le mettre en mots pour quiconque excepté pour l’être aimé. Heureux celui qui a pu dire « je t’aime ».

Tentative de définition :

  • Un bonheur de la seule présence de l’autre.
  • Un malheur de sa seule absence.
  • Un besoin de sa substance.
  • L’attraction de son essence.
  • Désir, plaisir.

Sur une chanson mélancolique

jeudi 9 juin 2005

Ce soir je rentrais en métro. J’ai marché en prenant mon temps pour remonter la Butte-aux-Cailles jusqu’à la place d’Italie. J’ai marché encore de République à la maison – le train n’allait pas plus loin. Et j’occupais ma tête en sifflant sans fin un air triste d’Higelin.

Le parc Montsouris c’est le domaine
Où je promène mes anomalies…
Où j’me décrasse les antennes
Des mesquineries de la vie.

C’était ça ou laisser s’épancher une envie de hurler ce manque de tendresse, l’absence de ta main dans mes cheveux, de mon bras autour de ta taille, de ton épaule pour poser ma tête, fermer les yeux et pleurer de rage et d’épuisement. Alors j’ai hurlé sans bruit, laissé filer les notes de ma mélancolie, crié un silence assourdissant de désespoir et je me suis couché dans l’oubli du monde.

L’heure d’avant

mardi 7 juin 2005

Le spectacle est à vingt heures. Le public n’est pas encore là. Je viens d’arriver avec ma réserve de sucres lents, une flûte tradition qui m’accompagne à chaque représentation depuis des années. Ma vie est faite de ces petits rituels.

Je suis arrivé d’un pas pressé. Cet après-midi déjà, ma tête était ailleurs, je répondais machinalement aux courriers électroniques en absorbant des litres de café pour tuer le temps qui me séparait du moment fatidique où je me mettrais en route pour la chronologie finale. Montré mon badge en vitesse, filé prendre possession des clés de la régie. Je lance un « bonjour » à la cantonade dans l’amphi, véritable ruche pour le moment. Toute la troupe se met en costume, se maquille, vérifie pour la dernière fois l’organisation des accessoires en coulisse.

Je sens la tension monter. Le trac arrive. Je suis soulagé : c’est en lui que je vais puiser la concentration et l’énergie des trois prochaines heures.

Je déroule calmement les gestes mille fois répétés. Dans la régie obscure, allumer le retour de salle. Tous les amplis sont on ? Bien ! Je peux maintenant voir et entendre tout ce qui se passe sur scène. Vérification de la console lumières : séquence programmée, prête à être lancée. Pour l’instant, je mets la scène en « pleins feux ». À partir de maintenant, je suis seul responsable de toute l’ambience lumineuse de la salle. Il faudra trouver quelques minutes, une fois que tout le monde sera maquillé, pour éteindre les fluos à un moment où ça ne gêne pas trop, et faire la balance des blancs sur les caméras.

Les projecteurs fixes vérifiés, on monte le projecteur de poursuite, on fait les essais de radio. « 1, 2, 3, c’est bon, tu captes ? ». Ça marche. Jusqu’ici, tout va bien. Je cavale de haut en bas de l’amphi, l’exercice physique est un bon moyen pour évacuer le trop-plein de pression et me rassurer. J’en profite pour vérifier les issues de secours et les extincteurs. Il y a un câble en travers du passage… Zut, où est passé le gros rouleau de gaffer ?

Tout est maintenant prêt. Pierre m’a rejoint à la régie, il contrôle les niveaux à la table de mixage. Je navigue entre les petits groupes qui terminent leurs derniers préparatifs dans la salle encore fermée au public et les premiers spectateurs qui commencent à arriver aux portes. Un mot d’encouragement pour les uns, un salut de loin pour les autres.

Je rentre en moi-même. Quelques assouplissements, quelques mouvements de respiration lente. Vider la tête de tout le superflu. Décontracter le corps et l’esprit. Concentration. On va bientôt évacuer les gradins, ouvrir les portes. Franchir le point de non-retour.

Retour en régie, dernier coup d’œil sur la scène : tout le monde est en coulisse, les bancs sont vides, prêts à accueillir le public. Les fluos sont rallumés, les curseurs des lumières ramenés au zéro. Silence plateau. Tout est en place, on peut y aller. Ouverture des portes.

La foule bruissante se déverse dans les gradins. Je descends pour un dernier point avec Deborah sur l’horaire de démarrage. De retour dans la régie, j’éteins la lumière d’ambiance. Le brouhaha des spectateurs couvre le ronronnement de la climatisation. Le bureau n’est plus éclairé que par la lueur bleutée de la veilleuse. Mon téléphone portable est éteint. Le monde extérieur n’existe plus. Le hall d’entrée est désert.

D’un regard je confirme qu’on va commencer.

Clic. Fluos éteints. Dans le clair-obscur tiède des petits spots, j’annonce « Bonsoir et bienvenue. Pas de photos au flash, n’oubliez pas de rallumer votre téléphone mobile à l’issue du spectacle ».

Clic. Les spots s’éteignent doucement.

C’est parti.

L’ingénieur et la versaillaise

jeudi 2 juin 2005

Saute d’humeur et coup de gueule sont à venir. Passez votre chemin si vous êtes une âme sensible. Et si vous vous décidez quand même à entrer, prévoyez les tampons auriculaires, ça va hurler ! Le scrutin de ce dimanche m’a collé en mode grognon, le guichet « bisounours » est en grêve ces jours-ci. On en a eu la preuve pas plus tard qu’avant-hier.

Mardi soir, c’est le soir où les étudiants de l’École font venir leurs copines versaillaises pour danser le rock dans une salle surchauffée du foyer des élèves. C’est aussi le soir où j’y descends boire une petite bière après la répétition de la chorale Jazz. C’est un moment sacré, un moment de détente après deux heures de travail agréable mais intensif, où je savoure le breuvage frais en devisant avec les quelques amis qui ne manquent jamais de se trouver là.

Or donc ce mardi, j’étais tranquille, j’étais peinard, accoudé au comptoir, un type s’est approché du bar, un type de ma connaissance, qui a fait aussi ses études ici un peu après moi, et qui aime danser le rock et séduire les versaillaises. Justement, l’une d’elles le suit de près, en quête d’un breuvage rafraîchissant. Et ils engagent la conversation au sujet d’un bout de papier chiffonné (non, pas chiffonné d’ailleurs, juste plié proprement en deux, elle a une certaine clââââââsse quand même, elle ne saurait se permettre d’arriver en jean avec une boulette froissée et informe dans la poche arrière) qu’elle trimballait sur elle.

Mon œil sursaute au moment ou le mot avortement me traverse l’oreille, j’émerge de ma bienheureuse léthargie et me saisis du tract. Oh pétard. On vient jusque dans ce sympathique lieu de perdition et de débauche colporter sans vergogne le message délétère de la propagande « pro-life ».

L’occasion fait le larron, je suis d’humeur à me venger bassement, elle ne récupérera pas son torchon. Pour l’heure elle jappe :

– Ben oui, t’as quoi à dire ?
– Heu, j’ai à dire que chaque femme est libre de disposer de son corps !

Le type, mortifié, lui présente ses excuses quant à l’attitude outrageante dont je suis en train de faire preuve. Trop tard, je lui ai cassé sa baraque, c’est mal, je sais, c’est mesquin, je n’ai rien contre lui mais il est des mots qui font trop injure au papier sur lequel on les écrit pour les laisser circuler sans réagir.

Désireux d’assurer au papelard objet de ma vindicte une fin tragique autant que spectaculaire, je hèle la barmaid, tête de bois féministe chère à mon cœur : Dis, tu veux un tract anti-IVG ? La feuille entre ses mains se transforme bientôt en un paquet de confettis, qu’elle entreprend courageusement d’avaler jusqu’au dernier pour en garantir la destruction définitive. La versaillaise décampe en fureur, poursuivie par celui qui n’a sans doute plus aucune chance de conclure avec elle et doit me maudire intérieurement. Il me croyait sympa et bien élevé ? Non, ces jours-ci il se trompe sur les deux points.

Je le recroise quelque temps après. Lui explique que je ne porte à son endroit aucune animosité, mais qu’il est des impératifs moraux que je m’en voudrais de laisser au placard en pareilles circonstances. Son acquiescement, sa reconnaissance même d’avoir été pour lui un garde-fou ce soir, mettent en paix ma conscience et me réconcilient, un peu, avec la jeunesse de ce pays.


Un billet pas si fictionnel, tracé dans l’urgence pour le Sablier du mercredi, avec un clin d’œil à Coïtus Impromptus, semaine 14.