Archive pour la catégorie Général

L’acte manqué

samedi 7 avril 2007

J’avais rendez-vous au théâtre à 18:45. Pas loin, juste cinq stations de métro. N’empêche qu’en m’en apercevant à 18:44, encore à la maison, il fallait faire vraiment vite. Appeler pour qu’on me réserve une place, faire vite, vite. Avoir de la chance pour le métro, et puis profiter du temps de battement habituel entre l’heure annoncée du spectacle et le moment des trois coups. C’était chaud, mais pas encore impossible, une bonne poussée d’adrénaline, seulement 2 minutes d’attente avant le prochain train. Je pouvais le faire.

Sauf que.

Sauf que la ligne 4, habituellement, je la prends vers le Sud, toujours, pour aller à Odéon, Saint-Placide, ou parfois Montparnasse. Et quand je cours sans réfléchir, c’est automatiquement sur ce quai-là que je me retrouve. Et là, le théâtre était au Nord. Quelle idée, aussi, de mettre un théâtre de ce côté-là. Je ne m’en suis aperçu que trois stations plus loin, abattu de rage d’avoir tant couru pour échouer en fin de compte. Je sais maintenant qu’on a l’air très ridicule quand on annonce au téléphone : « Ça va pas le faire, j’ai pris le métro dans le mauvais sens. » Il devait être écrit que je manquerais l’acte ce soir.

L’oxymore

lundi 2 avril 2007

La grande brune aux cheveux longs, on l’avait repérée de loin. Au milieur de la soirée étudiante, on la remarquait. Pulpeuse sans avoir l’air ronde, des formes généreuses à se damner que soulignaient un t-shirt moulant qui seul avait la chance d’épouser ses courbes. Elle nous attirait l’œil et nous tâchions de rattraper maladroitement notre langue. Baver d’envie en public, ça ne se fait guère.

Et puis elle s’est tournée vers nous, et on a été pétrifiés. Sur le galbe magnifique de sa poitrine s’étalait un slogan en larges lettres blanches. Printemps 2007 – Nicolas Sarkozy.

On a fini nos bières d’un trait pour se remettre du choc. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un oxymore incarné.

Une vie et une mort le temps d’un voyage en métro

vendredi 9 mars 2007

Odéon, après le ciné. Je descends le quai, je mate, à mi-parcours je tombe en arrêt sur elle. Grande rousse, cheveux épinglés sage, au téléphone.

Montés dans la voiture. Elle continue à parler, je suis tout près, capturé par sa voix vive. Je la bouffe des yeux pendant que son sourire me dévore. Vivante. Lèvres rouges encore, elle sort d’un bar à sangria du quartier. Parle sans doute d’une rupture récente et d’une fête future. Amitié. Raccroche.

Lui parler, excusez-moi, vous êtes lumineuse radieuse très belle votre voix est envoûtante du miel de l’or vos lèvres j’ai envie de te prendre dans mes bras…

Le sourire solaire disparaît. Adossée à la porte, impériale, marmoréenne, traits parfaits, impénétrables et dignes. Elle cherche du regard le nom de la station. Elle descend ?

Non, encore un peu la voir désespérément. La foule s’est clairsemée, je pourrais m’approcher. Arrêt suivant, elle s’avance vers la sortie, descend.

Descendre la rattraper lui parler une dernière chance.

Je l’accompagne des yeux sans avoir pu bouger, spectateur cloué là impuissant, douloureux disloqué immobile, accroché debout au milieu du train. Elle disparaît sans que j’aie pu croiser son regard.

Sans les mots

lundi 26 février 2007

Un dimanche comme ça, abrutir la fatigue à coups d’heures de sommeil jusqu’à ce qu’elle cède, la carne. Pour quelques heures seulement avachies sur le canapé à attendre qu’elle revienne en mangeant à des pas d’heures des fromages gouteux et des raisins sucrés.

À l’arrivée précipitée du soir, mouillé de pluie après l’après-midi gris par la fenêtre, faire le compte des mots prononcés. Ah, si, ce coup de fil providentiel de M. en détresse, code perdu au pied d’un immeuble de banlieue cossue. À ceux-là près, pas un.

Instant de vide. C’est là qu’on le sent le pire au creux du ventre. C’est celui-là que je ne parviens pas à remplir, parce que tous les corps nus du monde ne peuvent rien à la torpeur d’un soir d’absence.

Fragile dans la nuit

vendredi 16 février 2007

Après la soirée chez les copains, elle m’a accompagné. Au creux de la nuit, au creux de mon lit, au chaud sous la couette, je l’ai réchauffée.

Elle m’avait dit juste un câlin jusqu’au matin, rien d’autre, j’avais dit OK, j’ai promis, ça serait dur mais tant pis, ce serait doux aussi. Alors il y a eu mes lèvres dans son cou et mes mains sur sa peau, et son corps chaud collé contre moi. Entre nous de fines épaisseurs de coton et de soie encore.

Mais de baisers longs en souffle court la chambre a bruissé de désir. Mes mains sur sa peau et mon corps entre ses cuisses serré et mon visage enfoui dans l’odeur sucrée de ses cheveux. Et mes lèvres qui jouaient avec le lobe de son oreille et sa langue qui jouait à se faire attraper. Et de la promesse elle m’a délié.

« Je te veux, Doux… Me fais pas mal… »

Fragile, craintive, hantée de fantômes d’il y a tant d’années, elle a abandonné sa fine armure de soie et m’a plaqué contre elle. « Me fais pas mal, Doux… »

Non je ne veux pas te faire mal, je veux te faire qu’on se fasse du bien… Tout doucement… Ma peau contre sa peau, sa peur s’est éloignée.

Et bien plus tard : « Encore ! »

Les chats et la souris

dimanche 11 février 2007

Il y a celle qui sans doute de temps en temps se planque. Adolescente avec ses secrets partagés entre copines, les transgressions minuscules et l’interdit qu’on goûte à ces âges-là en cachette des parents. Elle se sait si discrète, elle ne se doute pas qu’eux aussi ont beaucoup d’imagination, qu’ils ont été enfants, et qu’ils savent encore grapiller de minuscules indices. Mais ils jouent son jeu parfois, car c’est leur rôle écrit, celui de ne rien voir.

Ce soir sa mère l’a emmenée avec elle pour une soirée entre ami-e-s. On chante, on mange, on boit un peu aussi. Les même-pas-trentenaires sont les plus jeunes du groupe, on papote en cuisine tandis qu’au salon on ressort de vieux tubes, aidés de deux guitares et puis d’un peu de vin. Et à l’office on roule un peu aussi, près de la fenêtre ouverte, OCB et boulette à côté de la boîte de manger pour le chat. Un murmure circule lorsqu’on retourne au salon, comme entre conspirateurs. Surtout, la petite ne doit rien apercevoir.

Ce soir ce sont les chats qui se cachent de la souris. Qui croient qu’elle n’a rien vu.

Tragi-comédie téléphonique en quatre temps

lundi 29 janvier 2007

Prologue

C’était au croisement des couloirs du métro, elle prenait la 8, je crois, moi la 5, je n’ai jamais eu la mémoire des chiffres. Une autre fois c’était dans un coin sombre d’un bistrot enfumé. Au décours de la soirée, j’avais attendu le dernier moment mais j’avais fini par passer outre timidité et inhibition, je lui avais demandé son numéro de téléphone. L’instant me semblait opportun. J’espérais avoir trouvé le ton souriant et désinvolte qui convenait afin que ma requête trouvât un accueil favorable.

Gagné, elle me l’avait donné avant de disparaître dans la nuit. Mais la victoire venait avec son cortège de mille poisons ancillaires.

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