De l’instrument et de la circonstance
vendredi 17 septembre 2010Des deux familles et des amis chers, peu manquaient à l’appel. La petite église, nichée au creux de la montagne, était baignée de soleil. Eux deux rayonnaient, émus. Ils venaient de s’unir « devant Dieu et les hommes ». Le prêtre, solennel, les a invités, avec leurs témoins, à signer le registre.
Dans sa main, ça brillait. Même de loin, on le reconnaissait. Nulle méprise possible. C’était un Bic Cristal. Le vieux modèle pas cher qui tachait à l’école nos pages d’écriture. Corps transparent, friable quand on le mordillait, qu’on recyclait en sarbacane. Encre visqueuse et lourde qu’on étirait à grand’peine, et qui plus souvent qu’on n’aurait voulu laissait un beau pâté à la fin de nos lignes.
Je bouillais, indigné. Ces mots-là, ce jour-là, méritaient mieux que ça. Mieux que le trait gras et pesant qui laboure la page, mieux que cet instrument trivial et commun. Cette signature-là, qui témoignait de leur amour, qui devait déterminer leur vie future, qui scellait leur destin devant l’humanité, appelait un outil à sa dimension. Oh, pas nécessairement un objet hors de prix, pas une plume en or dans un corps de bois précieux, enfin, pas forcément, mais au moins une pointe fluide, de ces doux instruments qui tracent sans effort une ligne nette et pleine. Une pointe légère qui aurait glissé sur la page pour graver leur deux noms d’une caresse sensuelle et tendre.
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