Dixième nuit, 2 — Quai de Jemmapes, quai de Valmy
jeudi 11 janvier 2007J’émerge de la gare par la petite porte, rue du faubourg Saint-Martin. Bien sûr, le square Villemin est fermé la nuit, je fais le tour par la rue des Récollets. L’enceinte du parc conserve la grande porte de l’ancien Hôpital militaire. Enfin voilà le canal, celui où je déverse des cataractes de silence pour apaiser les soirs de tourment.
C’est un peu plus bas qu’ils ont posé les tentes, en descendant vers la République. Les toiles bordeaux sont sagement alignées, de ce côté-ci, quai de Valmy, et en face, quai de Jemmapes. Je descends lentement, laissant la rue entre nous. Je n’ose pas traverser, marcher à proximité des abris éphémères. Quelques tentes sont ouvertes, j’aperçois un regard. J’ai peur d’être trop près, comme de déranger des gens chez eux. Je voudrais bien m’approcher, parler un peu. Mais que faire, que dire ? Qui es-tu, toi ? Mais pourquoi te parler à toi plutôt qu’à ton voisin d’à côté ? Et qui suis-je, moi, pour venir faire un tour, vous « voir » comme une curiosité, vous tous qui aurez froid ce soir comme ceux d’avants et ceux d’à venir ? Moi qui dans une heure ou deux serai de retour, blotti sous une couette douce dans un appart’ chauffé ?
Arrivé au bout du camp de toile, je m’arrête un moment à mi-hauteur d’une passerelle. Du regard j’interroge l’eau noire du canal, mais nulle réponse n’en vient. Je traverse et remonte de nouveau le canal. Côté des tentes, cette fois, sans faire de bruit, pour ne pas déranger. Un homme arrange un plot de chantier devant sa tente, et je ne peux m’empêcher de lui lancer un « Bonsoir… » qu’il me retourne poliment. Je m’éloigne.
Besoin de me poser un instant. Il y a du monde et de la lumière à l’Hôtel du Nord, je m’installe dans un coin de la salle près d’une grande tablée qui bruisse d’alcools et d’amitié. En face de moi, quatre jolies filles trinquent au champagne. Ici et maintenant, les yeux fermés au monde qui, à deux pas, s’endort sur le pavé.
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