Un pavé dans la mare
samedi 15 juillet 2006J’avais répondu présent à l’invitation à dîner pour l’anniversaire d’El. Pas à cause de l’endroit, un restaurant de banlieue perdu au milieu de la forêt de Meudon, où l’on ne peut se rendre qu’en allant d’abord au bout du métro, puis en entamant un interminable périple par route, le bus d’abord, bondé et englué dans les embouteillages de fin de journée, puis la voiture particulière, car personne n’a jamais songé à faire venir les transports publics jusque là-bas. Pas pour El non plus, mais surtout pour les amis communs qui devaient être là.
El en fait nous avait fait faux-bond. On attendait F., dont la présence annoncée m’avait décidé à venir, tant cela fait de mois que je ne l’ai plus vu. Mais c’est El qu’on eut au téléphone. Comme souvent l’appareil circulait de mains en mains ; je l’évitai une première fois – j’aurais parlé pour ne rien dire et ça ne servait pas à grand’chose. Mais on insista et le combiné me revint.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je me plaçai en écoute flottante. À travers l’Europe, un fleuve de mots coulait sur un bon millier de kilomètres et inondait mon oreille. Je surnageai tant bien que mal, ponctuant d’un Mmmhhmmm les points qui me paraissaient articuler le discours. Ainsi s’écoulait la litanie de ses inimitiés familiales, ainsi se rejouait les minutes de l’audience où le linge sale familial avait été lavé en public.
Tu vois, moi, je n’ai plus de mère, là.
Alors l’écoute flottante a coulé à pic. Le téléphone me brûlait les mains, me déchirait le tympan, me brûlait jusqu’à l’âme. Sans haine, mais sans patience aucune, j’ai refilé le bébé à mon voisin d’en face. Ce n’est pas à moi qu’il faut sortir des choses pareilles.
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