L’heure d’avant
mardi 7 juin 2005Le spectacle est à vingt heures. Le public n’est pas encore là. Je viens d’arriver avec ma réserve de sucres lents, une flûte tradition qui m’accompagne à chaque représentation depuis des années. Ma vie est faite de ces petits rituels.
Je suis arrivé d’un pas pressé. Cet après-midi déjà, ma tête était ailleurs, je répondais machinalement aux courriers électroniques en absorbant des litres de café pour tuer le temps qui me séparait du moment fatidique où je me mettrais en route pour la chronologie finale. Montré mon badge en vitesse, filé prendre possession des clés de la régie. Je lance un « bonjour » à la cantonade dans l’amphi, véritable ruche pour le moment. Toute la troupe se met en costume, se maquille, vérifie pour la dernière fois l’organisation des accessoires en coulisse.
Je sens la tension monter. Le trac arrive. Je suis soulagé : c’est en lui que je vais puiser la concentration et l’énergie des trois prochaines heures.
Je déroule calmement les gestes mille fois répétés. Dans la régie obscure, allumer le retour de salle. Tous les amplis sont on ? Bien ! Je peux maintenant voir et entendre tout ce qui se passe sur scène. Vérification de la console lumières : séquence programmée, prête à être lancée. Pour l’instant, je mets la scène en « pleins feux ». À partir de maintenant, je suis seul responsable de toute l’ambience lumineuse de la salle. Il faudra trouver quelques minutes, une fois que tout le monde sera maquillé, pour éteindre les fluos à un moment où ça ne gêne pas trop, et faire la balance des blancs sur les caméras.
Les projecteurs fixes vérifiés, on monte le projecteur de poursuite, on fait les essais de radio. « 1, 2, 3, c’est bon, tu captes ? ». Ça marche. Jusqu’ici, tout va bien. Je cavale de haut en bas de l’amphi, l’exercice physique est un bon moyen pour évacuer le trop-plein de pression et me rassurer. J’en profite pour vérifier les issues de secours et les extincteurs. Il y a un câble en travers du passage… Zut, où est passé le gros rouleau de gaffer ?
Tout est maintenant prêt. Pierre m’a rejoint à la régie, il contrôle les niveaux à la table de mixage. Je navigue entre les petits groupes qui terminent leurs derniers préparatifs dans la salle encore fermée au public et les premiers spectateurs qui commencent à arriver aux portes. Un mot d’encouragement pour les uns, un salut de loin pour les autres.
Je rentre en moi-même. Quelques assouplissements, quelques mouvements de respiration lente. Vider la tête de tout le superflu. Décontracter le corps et l’esprit. Concentration. On va bientôt évacuer les gradins, ouvrir les portes. Franchir le point de non-retour.
Retour en régie, dernier coup d’œil sur la scène : tout le monde est en coulisse, les bancs sont vides, prêts à accueillir le public. Les fluos sont rallumés, les curseurs des lumières ramenés au zéro. Silence plateau. Tout est en place, on peut y aller. Ouverture des portes.
La foule bruissante se déverse dans les gradins. Je descends pour un dernier point avec Deborah sur l’horaire de démarrage. De retour dans la régie, j’éteins la lumière d’ambiance. Le brouhaha des spectateurs couvre le ronronnement de la climatisation. Le bureau n’est plus éclairé que par la lueur bleutée de la veilleuse. Mon téléphone portable est éteint. Le monde extérieur n’existe plus. Le hall d’entrée est désert.
D’un regard je confirme qu’on va commencer.
Clic. Fluos éteints. Dans le clair-obscur tiède des petits spots, j’annonce « Bonsoir et bienvenue. Pas de photos au flash, n’oubliez pas de rallumer votre téléphone mobile à l’issue du spectacle ».
Clic. Les spots s’éteignent doucement.
C’est parti.
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