1998, année 21 — Initiales
Ça se passe un soir d’été. C’était l’époque où on pouvait promener nos vingt ans dans la douceur de la nuit. Nous sommes quatre dans la foule, le nez en l’air, grisés de bruit et de lumière. Gamins émerveillés par le feu d’artifices du quatorze juillet. Il y a T. et sa copine. Il y a L. et moi.
Le feu d’artifices est fini, on se rapproche de la station de métro, sans se presser. C’est là que je m’aperçois qu’L. a glissé sa main dans la mienne. Je serre ses doigts sous les miens, elle sait que je sais. Le métro est bondé et nous sommes séparés de T. La foule plaque son corps contre moi. Je sens sa chaleur qui diffuse. Les mots ne sont pas utiles. Elle descend à sa station.
Dîner chez L. Son homme est là aussi. Je suis juste un ami. Il va se coucher tôt, pas nous, nous avons à parler. Dans la pièce voisine, il dort. Dans sa chambre, nous parlons. Aux petites heures du matin, on finit par s’assoupir. L. s’endort dans mes bras.
Quelques jours plus tard, à la Maison des élèves. En ce moment j’ai la chambre pour moi tout seul, mon copiaule est en stage loin. L. passe me voir dimanche après-midi et de nouveau se blottit dans mes bras. Et s’approche plus près encore. Et ses lèvres se posent sur les miennes. Et pour moi c’est la première fois.
Puis il y a cet autre après-midi désœuvré et chaud d’été. Mes lèvres dévorent son visage, nos langues se caressent, mes mains glissent sur son corps… Un bout de tissus après l’autre, je retire ses vêtements. Entre deux, j’attends anxieux sa réaction… Elle me laisse faire, patiemment. Elle nue contre ma peau. Ça y est. J’ai attendu cet instant. Elle m’offre le nom d’homme. Elle ne veut pas croire que, là encore, c’est la première fois.
L. m’a extrait du sommeil amoureux. J’ouvre un œil étonné, je désespérais que cela m’arrive. Je ne savais pas comment. Je ne sais toujours pas. Il fallait juste être là, ouvert à la fortune. On dîne, grande tablée d’amis, une nuit d’août. L. est partie en province.
µ est là que je n’avais pas vue depuis des mois. Elle revient à Paris. Elle est seule. Elle plaisante pour exorciser le passé.
— J’en ai marre des mecs, je devrais peut-être passer aux filles !
— Ah, j’ai peut-être ma chance, au moins j’ai les cheveux longs…
(Ça fait quatre ans que je les laisse pousser.) Rires.
Le dîner est fini. µ rentre à pieds, ce n’est qu’à un quart d’heure. Y. se propose de la raccompagner. Mais je sens ma chance unique ce soir. Il comprend, d’un regard. Lui ai-je laissé le choix ? Il me sourit, il s’éloigne. On s’en va. Comme si de rien était, µ et moi, côte à côte, on discute comme on en a l’habitude, intarissables, complices. On arrive chez elle. L’appartement est à nous, elle m’invite pour un dernier verre. De toute façon on sait très bien que j’ai raté le dernier métro depuis un bon moment.
Je savoure un vieux whisky. On papote de plus belle.
µ a un peu mal à la main, un bobo de rien. Mais je voudrais qu’elle ne souffre plus. J’y dépose un bisou magique.
C’est l’instant suspendu où je renonce à ne faire semblant de rien. Un point de non-retour.
Elle me met en garde. Elle n’est pas prête, pas maintenant. Pourtant je prétends que je sais quel risque je prends. Ou que j’ai conscience en tous cas que je prends là l’une des décisions les plus dangereuses de mon existence.
Elle se rapproche enfin de moi. J’apprends le goût de ses lèvres.
Vingt et un de trente petits cailloux.
19 septembre 2007 à 08:29
C’est marrant, j’adore lire ta suite de Petits Cailloux… mais je suis chaque fois bien incapable d’y laisser un commentaire 🙂
Tout ça pour dire que je lis dans l’ombre, mais n’en suis pas moins une fidèle !
Continue cette série de beaux textes !!
20 septembre 2007 à 12:02
Leeloolene, merci pour ces gentils mots ! Moi aussi, je lis chez toi en douce…
22 septembre 2007 à 08:49
C’est étonnant comme ça paraît toujours plus « beau » après… Plus romantique, plus doux, plus intense… Mais surtout, à quoi ça sert, en terme d’économie psychique ?
22 septembre 2007 à 11:05
À quoi sert quoi, Melie ? Tu veux dire, à quoi sert de polir, patiner les souvenirs, à quoi sert de transformer une seconde fugace en un temps suspendu où toute l’humanité se réduit à deux êtres désirants plongés chacun dans le regard de l’autre ?
Ou encore, plus généralement, quel est le bénéfice escompté du processus de maturation par lequel un fait vécu « anodin » accède à la dimension mythologique au fur et à mesure qu’on lui confère une place, sa place dans le récit personnel ou familial ?
23 septembre 2007 à 09:25
Mmmh… En fait cette discussion, on devrait se la garder pour plus tard. Devant un verre par exemple. La question du souvenir me travaille en ce moment, alors tu penses, tes petits cailloux… Bref, à notre prochain debriefing ?
26 septembre 2007 à 20:42
Euh non Mélie, c’était pas plus beau après… c’était beau pendant… c’est même ce qui m’a fait craquée alors que j’étais pas prête… Par contre Thomas, je réclame mes droits d’auteur sur mes citations 😉 Non mais c’est vrai que ça fait bizarre de voir son histoire en public…
Allez, la bise