1981, année 4 — De droite à gauche

Je ne sais pas encore lire, mais j’écoute attentivement ce que racontent les grands. Je savais déjà qu’ils parlaient d’un monsieur important qui s’appelait Giscard d’Estaing, et qu’il était Président de la République. Et puis un jour, on l’a remplacé par un autre, qui s’appelait François Mitterrand, et mes parents ont été très contents. À cette époque-là, il y a eu aussi des élections municipales. Dans le hall de l’école, qui servait de bureau de vote, on voyait surgir quelques jours avant les isoloirs encore pliés, et la grosse urne en tôle verte, avec son petit levier qui faisait Ding !, à laquelle il était bien entendu formellement défendu de toucher.

Je me demandais comment on faisait pour choisir entre les candidats, et Maman m’expliquait patiemment, en me donnant mon bain, que notre maire, Lucien Lanternier, était de gauche, du Parti communiste, et que cela était bon. Elle m’expliquait encore que son adversaire s’appelait Écorcheville, et que rien qu’avec un nom comme ça, ça en disait long sur ce qui nous arriverait s’il était élu. À l’époque ça me suffisait pour en avoir peur, si en plus j’avais su que c’était un ancien d’Occident, fondateur du GUD et d’Ordre nouveau j’en aurais probablement fait des cauchemars. Alors Maman me rassurait juste en me promettant qu’il n’avait aucune chance. C’est ainsi qu’elle a doucement modelé les premiers germes de mes idées politiques, à l’ombre des écrits de ses pères fondateurs qui s’alignaient, interminablement, dans les rayons de sa bibliothèque. L’Histoire socialiste de la Révolution Française par Jaurès, Les Œuvres complètes du camarade Lénine qu’on a depuis entreposées à la campagne avec mille souvenirs. Et les quatre petits volumes en format de poche, papier bible, qui sont maintenant chez moi. Karl Marx, Le Capital.

J’ai eu la chance d’avoir des parents communistes. Par la suite j’ai appris aussi à penser autrement, à nuancer les positions. Pour cela j’ai d’ailleurs été le vilain petit canard de la famille. Il n’empêche que leurs valeurs de solidarité et d’humanisme sont aussi, encore, les miennes.

Quatre de trente petits cailloux.

2 réponses à “1981, année 4 — De droite à gauche”

  1. Aurele a dit :

    J’aurais la même requête que celle que j’ai faite à Kozlika : pourrais-tu créer une catégorie spéciale pour que l’on puisse, d’un coup, accéder à l’ensemble des billets « petits cailloux » ?

  2. Thomas a dit :

    C’est fait.

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