Ma grande jeune
Elle m’appelle « mon p’tit vieux » depuis plus loin que je ne peux me rappeler. Alors je l’appelle « ma grande jeune ». Ça nous a toujours fait rire. Enfin, jusqu’à ce qu’elle oublie que j’étais son p’tit vieux. Jusqu’à ce qu’elle oublie qu’elle me connaissait. Depuis tout petit.
Il y a quelques semaines, elle a été malade. Les poumons pleins de flotte et d’autres trucs visqueux. Des tuyaux qu’elle voulait arracher. Le verre d’eau qu’elle ne pouvait plus boire. Et puis ses poumons ont guéri, et elle est restée là, comme vidée.
Visite après visite, à son chevet, on cherche son regard. Elle s’endort, les yeux mi-clos. S’éveille, terrorisée. Il y a bien longtemps qu’on a dû renoncer à chercher des mots sous les gémissements. Elle attrape nos mains, chercher à griffer, à mordre, elle a toujours de la poigne. Puis elle retombe endormie, épuisée, et je laisse ma main sur la sienne, de plus en plus fripée. Trop de peau, tout le reste a fondu. Tant de semaines qu’elle n’avale plus rien. Yeux ouverts, peur. Yeux fermés, épuisement. À longueur d’heures.
L’hôpital pue la mort. On dépose un baiser sur son front et puis on s’esquive, las d’impuissance, vaincus, le cœur trop plein de sa souffrance noyée de morphine.
9 mars 2009 à 22:58
Superbe texte, bon courage!
10 mars 2009 à 00:34
Garde sa main dans la tienne tant que tu le peux, l’empreinte reste. Pensées émues et solidaires.
10 mars 2009 à 06:25
Câlins depuis loin. Prend soin de toi autant que tu prends soin des autres.
10 mars 2009 à 09:28
Vivre Jeune, Mourrir Vite…
Courage
10 mars 2009 à 09:54
Ah merde, je ne connais que trop cette histoire-là. Courage pour l’accompagnement. Je suis persuadée que tenir la main, même quand l’autre semble déjà au-delà, aide encore.
N’oublie pas malgré tout de prendre soin de toi. La mort est sournoise prosélyte.
10 mars 2009 à 23:22
Merci à vous. Merci d’être là.
14 mars 2009 à 14:34
Si tu en doutes encore, pour ça aussi, tenir la main c’est déjà beaucoup. Bon courage, je t’embrasse fort.
14 mars 2009 à 20:55
bonjour thomas, tu n’es pas totalement impuissant si tu es la et que tu lui tiens la main.
J’ai failli mourir un jour, j’étais tellement mal que je ne pouvais pas communiquer – parler, bouger, ouvrir les yeux, montrer que j’étais là malgré tout- mais j’entendais cependant ce qui se passait, et je comprenais qui était là pour moi.
Tenir la main cela ne parait pas grand chose pour celui qui tient, mais pour celui qui est tenu.. c’est énorme.
Merci pour tes textes.
15 mars 2009 à 22:40
« Aux tempes des miroirs »… j’ai cliqué sur « un soir de pluie » parce que j’ai aimé le nom et ce que je découvre là est à l’image de ce soir de pluie et de mélancolie… de douleur et de souffrance… je suis émue car cela me renvoie à tant …
et puis j’ai pensé à la magnifique chanson de Barbara…
Prendre soin de l’autre en ces instants de fin de vie est un grand honneur… et il est important de prendre soin de cet instant… votre texte est émouvant et plein de tendresse et d’amour…
je pense à vous et vous salue même si je ne vous connais pas…
http://www.deezer.com/track/2178334
17 mars 2009 à 10:54
Merci pour tous vos messages, ici et ailleurs.
Elle est partie ce matin.