Les papiers du tiroir
Levé larborieusement, lendemain de fête. Je passe au magasin au dernier moment, il me faut deux cadeaux pour les anniversaires de cet après-midi. Il est juste avant moi dans la file d’attente de la caisse.
C’est un de ces hommes qui parlent trop. De la température, ici, il fait trop chaud dedans, mais trop froid dehors, on a tant de vêtements ! Il n’y a pas un vestiaire, ici ? Il devrait… Et des douches, vous avez des douches ? En Norvège, où il fait si froid, ils ont des douches dans toutes les entreprises, vous savez… La caissière, imperturbable, réprime un sourire devant la logorrhée.
Il sort sa carte pour payer. Il a sur la main gauche une vilaine blessure, probablement récente, pas bien cicatrisée. On dirait qu’on lui a planté un truc, là, profondément. Sous son blouson de cuir, un gros pull et un peu trop de gadgets électroniques accrochés autour du cou.
Il tend sa carte, donc. Mais il voudrait bien savoir d’abord : est-ce qu’il pourra revenir d’ici une heure, une heure et demie, pour payer d’autres achats avec ? Oui, bien sûr, pas de problème. La caissière le rassure. Enregistre son achat, une carte de téléphone, soixante euros de communication.
— Votre code, Monsieur, s’il vous plaît.
— J’ai pas le code.
— Ah, mais sans code, heu, …
— J’ai une carte d’identité, j’ai un passeport en règle… je devrais pouvoir payer, avec ça, j’ai pas besoin de code !
— Oui mais il le faut quand même…
— Bon ne bougez pas, je vais appeler ma femme…
Allo… Tu m’entends ? (suffisamment fort pour qu’elle puisse entendre, où qu’elle soit, à l’autre bout du fil) Je suis à la FNAC… La F-N-A-C. Oui, j’achète juste un disque ou deux (tiens, moi je vois juste la recharge de GSM), j’en ai pour une heure, une heure et demie maxi. Est-ce que tu aurais le code de la carte ? Tu te souviens pas ? Le code de mon ancienne carte bleue… Ce serait pas 7308 ? Tu sais pas ? Bon, regarde dans les papiers du tiroir. Rappelle-moi, oui, il y a des gens qui attendent. Rappelle-moi dans un quart d’heure. Rappelle-moi vite, rappelle-moi vite, rappelle-moi vite.
— … Ah, elle est con, ma femme, elle a pas le code.
— Remarquez, vous, vous l’avez oublié aussi, hein, le code.
— Ah, oui, mais si vous saviez. Elle m’en fait voir. Ce matin encore, elle m’a foutu deux gifles, et puis elle m’a mis dehors.
Hé, collègue, la caisse elle me dit « Erreur de communication », là, je fais quoi maitenant ? Tu fais Échap, Efface, Efface, tu débranches, tu rebranches (tu fais la danse de la pluie et tu égorges un poulet sur le TPE).
C’est là que je me suis dit qu’on était vraiment mal barrés. Et j’ai changé de caisse.
17 novembre 2008 à 08:57
Je pensais être la seule à avoir la poisse aux caisses mais non. Les caisses des grands magasins sont les nouveaux outils garantissant l’égalité sociale devant la poisse 🙂
26 novembre 2008 à 12:49
Assomant… ou navrant, je sais pas trop… on croise de ces énergumènes aux caisses. Je sais bien qu’on a pas tous la même conception de la réalité, mais y’a des limites…
30 novembre 2008 à 15:06
J’aurais plutôt dit touchant. Dans sa naïveté, dans sa maladresse, dans cette sorte de dépendance dans laquelle il se trouve vis à vis de celle, au bout du fil, avec qui il partage ses tiroirs, ses papiers… dont il dit aussi recevoir les coups de griffe. Moi, j’ai surtout été émerveillé, parce que la complexité, la violence et la diversité des relations entre les humains ne cesse jamais de me surprendre. Et que, justement, non, elles n’ont pas de limites.