Nous les trentenaires
Nous sommes nés au siècle dernier. Un peu avant l’ère Mitterrand. Nos parents avaient rêvé le grand soir en balançant des pavés contre les flics. Pour eux, les années fac, ç’avait été manifs et barricades, AG, occupations. Pour eux et puis pour nous, qui étions à venir, ils avaient rêvé une vie merveilleuse.
Quand on était gamins, l’an deux mille c’était encore lointain, et on se laissait croire aux immeubles de verre et aux voitures qui volent. On n’imaginait pas qu’à vingt-cinq ans de là, l’herbe et le bois des arbres et les gargouilles de pierre des églises gothiques, les statues de tuffeau des chapelles bretonnes, bouffées par les embruns, et les façades miteuses des vieux bouges de quartier attendraient patiemment qu’on atteigne l’âge d’homme. L’enfance était sans fin et les années si longues qu’on n’en voyait pas le bout, trop occupés de nos chagrins d’école.
Et puis nos pas nous ont portés au seuil du siècle, et c’est là qu’on a su la lenteur du monde. Dans les rues de Paris comme le long des trottoirs défoncés de Broadway, au pied du Millennium Hotel, au détour d’une vieille devanture décatie, il y avait toujours ces bistros éternels où des générations de bocks ont culotté le comptoir qui pègue toujours un peu. C’est là que nous avons fini tant de nuits et que nous en terminerons d’autres encore. Avec une belle d’un soir cueillie ici ou là, peut-être chez une amie commune ou au hasard des rues, de la fortune urbaine. Une de ces étrangères qui vient entre nos draps pour quelques heures encore, repousser jusqu’à l’aube la nostalgie aiguë de nos amours passées et de nos illusions.
Nous avons besoin d’elles, la foule de nos amantes. Notre besoin de consolation est impossible à rassasier.
Écrit à l’invitation d’Akynou sous la contrainte de cinq titres proposés par Madeleine. J’ai un peu perdu de vue l’autre moitié de la consigne : Et parler de vacances. On dira que ma tête y était déjà.
21 juillet 2008 à 08:05
Que cela est bien écrit.
Bien qu’en ce qui me concerne, le terme de « foule » relève de la licence poétique.
PS: s/sicèle/siècle/g
21 juillet 2008 à 09:06
Merci GroM !
(Coquille rectifiée.)
22 juillet 2008 à 09:25
Coquille recalcifiée ? (En première phrase)
Bravo pour ton texte. Je pense qu’on est beaucoup à s’y reconnaître en partie.
22 juillet 2008 à 14:15
S’endormir dans l’amère mélancolie de ses amours passées et finir par feindre le sommeil dans le réconfort de bras inconnus.
23 juillet 2008 à 12:17
Megumi, j’ai cru — à tort — que c’était un hapax. (Seconde occurrence rectifiée.)
Tiens, Ndn, vous ici, quelle heureuse surprise ! Peut-on s’attendre à vous croiser au prochain ParisCarnet ?
24 juillet 2008 à 14:12
sans doute
25 juillet 2008 à 16:45
Très beau texte, comme d’habitude bien écrit.
En ce qui me concerne je trouve dommage, que tu ne sois pas sorti de tes chemins connus….