2000, année 23 — Carnet de doute
J’ai commencé l’année à genoux.
La fête battait son plein, la maison était pleine d’amis. On riait, on mangeait, et on faisait du bruit – c’était bien. Je m’amusais, mais j’avais un petit pincement au cœur. Il serait bientôt minuit. On serait en l’an deux mille. Et j’avais un certain nombre de systèmes informatiques sous ma responsabilité.
L’ordinateur faisait partie de la fête. Je l’avais posé là, par terre, au bord de la pièce pour ne pas gêner. Son horloge était soigneusement synchronisée, à quelques centièmes de seconde près elle était bien calée sur deux ou trois horloges atomiques. Je surveillais attentivement le décompte. Quand il y a des bouteilles de champagne dégoupillées, on ne rigole pas avec l’exactitude.
Trois… Deux… Un… Zéro ! Minuit ! Pop, pop, les bouchons sautent. Ça y est, on est en l’an deux mille. À genoux sur le plancher, je pianote fiévreusement. Me connecte à une machine, puis à une autre, puis encore une autre. Tout semble normal et calme. Il ne se passe rien. Elles ont passé l’an 2000 sans « bug ».
C’était évident, bien sûr. Mais jusqu’au dernier moment je me suis demandé. Et si… ?
En août, µ et moi partons pour deux semaine en Écosse. Elle n’a pas peur de me passer la moitié du temps le volant de notre minuscule voiture de location, bien que je n’aie mon permis que depuis moins d’un an. Nous sommes aussi peu assurés l’un que l’autre sur ces minuscules routes où les gens roulent à l’envers.
Ce soir-là sur les remparts d’Edinburgh j’ai la gorge serrée. Cela fait déjà une semaine que nous sommes partis. Cela fait déjà un an que je suis en thèse. Je ne sais pas où je vais, j’ai beaucoup à faire et je m’enlise dans une bibliopgraphie dont je ne sais toujours pas quoi faire. Ma vieille angoisse est à son paroxysme, celle d’être arrivé là non par réel mérite mais en ayant seulement fait semblant de savoir et de savoir-faire, juste ce qu’il faut pour tromper ceux qui devaient m’évaluer. Ce soir sur les remparts, je pense au retour, aux travaux qui m’attendent en rentrant. J’ai peur de ne pas y arriver, de n’être pas à la hauteur. Ce soir j’ai besoin qu’elle me prenne dans ses bras pour ne pas pleurer.
Vingt-trois de trente petits cailloux.
1 octobre 2007 à 16:57
Voilà qui m’est trop familier…
1 octobre 2007 à 18:25
Heureusement que j’avais des camarades de promo dont le copain était en thèse… On faisait « atelier soutien » 😉
5 octobre 2007 à 21:05
J’aime cette ville. En tout cas lorsque j’y étais…
Les souvenirs qui me reste des remparts sont presque ainsi.
Les vieilles collines autour, le soir…la nuit la mer…une couleur.
7 octobre 2007 à 15:47
HellCat, cette désagréable impression m’a poursuivi des années. Elle a fini par se taire, mais elle continue de se rappeler parfois à mon bon souvenir… le temps d’un reflux, d’un remous…
µ, oui, et tu fus essentielle dans l’aboutissement de ce travail-là.
Serillo, il faudrait que j’y retourne un jour, maintenant que j’ai l’esprit libre et que j’ai appris à profiter de mes vacances. À déconnecter, à lâcher prise sur le boulot qui m’attend au retour.