L’artiste
Je suis arrivé à son cabinet pas plus rassuré que cela. Je savais que ce ne serait pas précisément une partie de plaisir, mais la restauration de mon sourire proverbial était en jeu.
On commence donc par faire le point sur les options ouvertes. On peut tenter de séparer la couronne fracturée de sa voisine intacte. Ce serait l’idéal. Alors il sort les outils, fraises, meules, et aussi une sorte de petite disqueuse pour faire bonne mesure. C’est amusant, justement le jour où je venais de lire cette histoire[1]. Ça scie, ça perce, ça fraise allègrement. Heureusement, je n’ai pas cette phobie du sifflement aigu des outils dentaires. Bien sûr ça vibre un peu, ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable, mais rien de terrible. Dans un reflet de la vitre du scialytique, je peux suivre une partie de l’opération. Il faudrait suggérer aux dentistes d’installer de vrais miroirs au plafond.
Ça y est, les deux couronnes sont séparées, celle qui est encore bonne est retaillée, elle pourra encore servir quelques années. Maintenant, on passe à la partie vraiment déplaisante de l’histoire. L’arrache-couronne agrippe la céramique ébréchée, et toc, toc, toc, on tape jusqu’à ce que ça vienne. Et ça ne vient pas. « Ah, la vache, elle tient bien ». Toc, toc, toc. C’est le moment où il faut être très zen, se rappeler les exercices de respiration par le ventre, essayer de se décontracter. Toc, toc, toc, il continue à choquer la prothèse. Et enfin un infime craquement, presque imperceptible. Elle tient toujours mais la colle vient probablement de commencer enfin à céder.
L’asssistante impassible fait le ménage dans ma bouche. « Aspirez bien, là, y a plein de petits morceaux qui sont tombés ». On va faire un peu levier. Encore quelques chocs. Ça y est, hop, elle est là. Un peu découpée dans tous les sens, mais finalement décollée. « Ah bah oui, c’était collé au verre ionomère, c’est solide… ».
Il resculpte la forme de la couronne restante, en polit l’arête vive pour qu’elle prenne forme. Il me tend un petit miroir. Elle est impeccablement redessinée, pas abîmée du tout, on dirait toujours une vraie. Je trouve que c’est du travail d’artiste.
À côté, bien sûr, pour l’instant, il y a un trou. Le bon docteur s’attaque donc à la retaille du moignon qui y subsiste. Là, ça va faire un peu mal, on fraise au ras de la gencive. Si c’est trop sensible, il piquera. De nouveau, je vais réviser mes exercices de relaxation. Une fois ou deux, je râle un peu. Ouille. Mais ça se passe plutôt bien, et en fin de compte il n’y aura pas besoin d’anesthésie. C’est le seul moment où ça se corse un peu : « Ah, dites-donc, ça saigne quand même vraiment beaucoup ! C’est l’inconvénient, quand on ne fait pas d’anesthésie… ».
La suite est plus détendue. Il taille la couronne provisoire en résine, et nous sommes bientôt tous trois, l’assistante, lui et moi) couverts d’une neige de copeaux de plastique. « Fermez les yeux… » Hop, un petit coup de jet d’air comme chez le coiffeur, un petit pschitt pour lui aussi, « Bon, je souffle la neige ». C’est presque fini. On se détend un peu, il balance encore trois ou quatre abominables vacheries à l’assistante, elle pouffe, et je me dis sans bruit qu’ils sont bien peu charitables, parce que c’est pas facile d’avoir envie de rire la bouche grande ouverte avec un tuyau d’aspi dedans. Une heure et demie de travaux, me voilà provisoirement réparé, à la semaine prochaine, Docteur.
- Via Grange Blanche. ↩
1 novembre 2006 à 20:16
Ahhhh j’ai mal pour toi, rien que l’évocation des sifflements-grincements et autres bruits horribles, sans parler des vibrations, me fait frissonner!!!
Que ne ferrait-on pas pour un sourire 🙂
Mon dentiste lui a le don de me poser des questions une fois qu’il a rempli ma bouche de tous ses instruments…
2 novembre 2006 à 07:54
oh mon dieu , j’ai peur j’y vais lundi … 🙁
je veux plus, je reste chez moi sous la couéte et je pleure .
2 novembre 2006 à 21:38
J’adore le dentiste !
Mais qu’est-ce qu’on a tous à raconter des histoires de dentiste ?
Remarque moi je me suis contentée des carambars et des blagues…
15 novembre 2006 à 14:14
[…] Mais depuis quelque temps un drame couvait. Mes soirées et mes nuits occupées jour après jour, à courir sans relâche de la piscine à la chorale, d’une bouteille de bière à une flûte à champagne ou à un diabolo-menthe suivant l’état de sortie au décours de l’itération précédente, à faire des courses entre les deux tout en répondant au téléphone et en entamant des travaux majeurs de maçonnerie buccale entre deux séances de chirurgie réparatrice appliquée au plafond du salon, qui en avait bien besoin. […]