On est pas là pour se faire engueuler
Ce soir c’était Paris Carnet, quarante-troisième du nom, onzième édition de suite chez O’Cantina, près Montgallet.
Depuis tous ces mois qu’on venait, le patron nous recevait avec l’accueil chaleureux qu’on réserve aux clients réguliers, sinon assidus, et finalement on s’était accomodés de l’habitude qu’avaient les serveureuses de la maison de ne jamais pouvoir se souvenir (ou noter, ou taper sur la caisse) qui avait commandé quoi. On avait pris l’habitude de jouer les Muriel Robin, dégainant d’emblée les stylos pour griffonner sur la nappe un état exhaustif des commandes. On palliait assez bien de la sorte les petits travers de la maison – on pouvait répondre sans peine au loufiat angoissé venur faire l’encaissement et qui nous demandait « Heu, excusez-moi, qui a commandé quoi déjà ? ».
J’avais eu plus de mal en revanche avec la cuisine. Il faut dire que chez O’Cantina, le cheese burger saignant ne se conçoit qu’uniformément brun. Je n’ose imaginer le résidu noirâtre qu’on y servirait à l’âme hardie de passage, bienheureuse ignorante de la pratique locale, qui s’aventurerait – mais après tout c’est presque une faute de goût en soi, et du coup ce serait presque bien fait pour elle – à commander « bien cuit ».
Une fois, deux fois, trois fois, plusieurs mois de suite, j’avais demandé la viande saignante et juteuse dont la seule anticipation suffisait à me plonger dans les prémisses d’un orgasme gustatif dont je devais me retrouver injustement frustré. Plein de dépit, je mâchais laborieusement la bidoche desséchée. Alors le mois dernier, ayant soigneusement insisté sur le fait que j’aimerais un burger saignant, j’avais fait constater à la serveuse penaude que ce qu’elle m’avait servi ne correspondait manifestement pas à ce que j’avais commandé, le plat était reparti en cuisine. Le second essai avait été fructueux, j’avais chaudement félicité la dame pour l’efficacité de son intervention corrective, n’osant imaginer les trésors de persuasion qu’à n’en pas douter elle avait dû déployer en cuisine.
C’est donc avec quelque espoir qu’aujourd’hui j’ai bien insisté sur la cuisson, dès la commande. Je savais qu’ils pouvaient le faire pourvu qu’on le demande avec suffisamment d’insistance. J’y croyais fort, très fort. J’aurais dû me méfier, c’était un serveur cette fois, un grand gars patibulaire, qui avait remplacé la bonne fée de la fois d’avant. Il avait apparemment un souvenir imprécis de l’épisode du mois dernier, et commençait déjà à maugréer en suggérant à demi-mot que je n’étais qu’un emmerdeur.
Non, décidément, j’ai été naïf. La semelle accoutumée est arrivée dans l’assiette. Bon, cette fois de nouveau j’ai fait contre mauvaise fortune ventre affamé (à défaut de bon cœur – on fait avec les bas morceaux qu’on a sous la main). Mais au moment de la douloureuse, j’ai quand même fait remarquer au serveur que ce n’était pas par hasard, mais encore une fois en vain, que j’avais pris le temps de préciser sans ambiguïté. « Saignant ».
Et là, c’est lui qui s’est mis à bouillir sur place. Lui adresser une critique, justifiée, sur la Maison… À lui ! Ce pauvre garçon qui avait déjà des heures de travail dans les pattes ! Non, vraiment, je le traitais comme un moins que rien, je lui manquais de respect. Lui dire directement que j’avais un souci, quel affront ! Non, j’aurais dû aller directement me plaindre à la Direction. J’ai bien essayé plusieurs fois de savoir en quoi j’avais bien pu lui manquer de respect, mais il a continuer à déverser sa logorhée sans désemparer, avant de s’éloigner pour, visiblement, épancher sur sa collègue tout le tort que l’odieux personnage que j’étais venait de lui causer.
Alors j’ai repensé à Boris Vian, je me suis que j’étais pas là pour me faire engueuler, que moi aussi j’avais une journée de boulot dans les pattes, et que le dîner avait été médiocre. Je suis passé au bar informer le patron que j’irais désormais dépenser mes sous ailleurs, et puis je suis parti.
8 février 2007 à 16:17
« en suggérant à demi-mot que je n’étais qu’un emmerdeur » -> de la même manière que lui racontera à sa femme que tu suggérais à demi-mot qu’il était aussi mauvais cuisinier que serveur… et de conclure qu’il n’est pas là pour se faire engueuler par les clients.
le problème c’est qu’il n’a toujours rien compris de ce que tu voulais vraiment lui dire (que tu avais confiance qu’il pouvait te servir un steak correct en faisant un effort, et non le contraire), et que de ton côté tu te priveras de paris-carnet alors que tu faisais partie des plus réguliers.
friendly fire ou doublé de victimes collatérales?
8 février 2007 à 16:38
Quelques différences tout de même :
J’aime bien les ParisCarnet, j’apprécie les gens que j’y rencontre et ce sont généralement de bonnes soirées, mais je ne suis pas prêt à payer n’importe quel prix pour cela. Mal manger et, en plus, me faire pourrir la tête par un triste sire, c’est plus que je ne suis prêt à subir.
Je suis bien convaincu qu’O’Cantina n’est pas le seul étalissement dans tout Paris qui puisse nous recevoir. Ça fait de toute façon plusieurs mois qu’on parle beaucoup de chercher un autre lieu. Pour ce qui me concerne, c’est juste devenu une évidence : on gagnera énormément à aller voir ailleurs. Et en attendant, encore une fois, je refuse de continuer à faire fonctionner le business de ces gens-là. Alors, oui, je vais peut-être manquer un ou deux ParisCarnet. Ça ne me fait pas plaisir, mais je ne vois guère d’autre solution, et ce n’est pas un drame non plus.
Rendez-vous au prochain VRB, en attendant.
8 février 2007 à 17:20
j’ai du mal à croire qu’on tourne le dos au o’cantina juste au moment où sa terrasse redeviendra fréquentable, ce qui était un de ses meilleurs points forts. par contre c’est vrai que les 5 derniers PC auraient très bien pu avoir lieu ailleurs, si on avait trouvé un lieu alternatif.
10 février 2007 à 01:13
Ce serveur était vraiment désagréable, mais avec le recul de quelques jours passés, est-ce toujours si important?
21 février 2007 à 15:00
Moi, je n’y étais pas à ce Paris-Carnet, mais je fais confiance à Thomas.
Et oui, c’est important. Un serveur est là pour servir. Le sourrre fait partie de la panoplie comme le sifflet fait partie du flic, le stéthoscope de ma cardialogue et les bas-resilles de la prostituée.
Si on doit se faire pourrir la vie par un type à notre service, mieux faut faire la queue à la sécu au moins c’est chauffé.
« Vivement la quille bordel et mort aux cons » disait un ministre au Général dont la réponse fut : « Vaste programme mon cher, vaste programme ».