L’arrache-corps

Où l’auteur s’embarque dans des pérégrinations vélocipédiques qui expliquent, a posteriori, son silence de ces derniers jours.

On s’était donné rendez-vous à l’aube du matin. Encore tout cotonneux, pleins de lambeaux de nuit, on s’était retrouvés, une petite trentaine, collègues et puis copains, sur le quai de la gare. On était arrivés à Saint-Pierre-des-Corps à peine une heure plus tard. Les Mirage déchiraient le ciel de Touraine, gros oiseaux qui hurlaient dans le ciel nuageux. Et dès le premier jour on avait pédalé, mangé les kilomètres en poussant sur les cuisses et en pensant seulement à la route devant pour oublier un peu nos culs endoloris. (Oui, le vélo, même avec une bonne selle, ça finit par faire mal après soixante-six bornes). Escale à Chenonceaux, on s’est émerveillé sur les cuivres brillants et les marbres d’époque de la cuisine du château.

Le deuxième matin, le petit-déjeûner vite avalé, on s’est remis en route sur le coup de huit heures. Il y avait bien de la route à faire, cinquante kilomètres avant d’être à Chambord, battus d’une pluie froide qui vous bouchait la route et vous noyait les yeux, puis séchés par la brise encore douce avant de traverser le parc par le chemin sinueux aux senteurs de pin et de fougère humide. Une visite expresse du domaine royal, et puis rouler encore, car c’est à Blois que nous attendait le déjeûner.

Soixante-douze kilomètres, c’était la distance du matin. Mais c’est après le repas que ça s’est corsé. Là, plus de forêt. Les champs à perte de vue, terre nue à gauche, à droite les tournesols fanés, figés dans l’expectative d’une prochaine faucheuse qui se faisait attendre. La route grimpait doucement. Elle se faisait parfois insidieuse, en faux-plat fourbe qui n’avait l’air de rien mais qu’on sentait bien là, sous les pieds, plus dur à chaque tour de roue. Et d’un coup attaquait frontalement, étalant jusqu’à l’horizon des côtes qu’on voyait de loin et qui alors nous anéantissaient du seul fait d’être devant nous. Elles nous attendaient de pied ferme pour une lutte sans merci, narquoises et tranquilles.

Et il est arrivé. Notre ennemi invisible. Le vent.

Lui, il te dévore. Il t’attrape. Il te prend à bras-le-corps. Il te prend face à face, et toi tu n’es plus rien. Tu crois que tu peux te battre, bien sûr. Ce n’est pas lui qui va t’empêcher d’avancer. Non ? Il siffle à tes oreilles, obsédant. Il se glisse partout, il prend prise sur chaque centimètre carré de ton être, il s’accroche et tient bon. Toute l’énergie que tu veux mettre à avancer, il l’absorbe, il la suce comme une tique géante pendant que tu t’épuises. Même sur une route plate, c’est dur comme une montée qui ne s’arrête jamais. Sauf qu’en plus à la fin tu n’es même pas plus haut, il n’y aura pas de descente pour te reposer. Il faudra continuer encore et encore et tu ne sais pas quand ça va s’arrêter. Il hurle dans tes oreilles, il vide chacun de tes muscles de sa substance, et toi tu désespères, tu peines, tu as mal et tu n’avances plus. Mais il faut avancer pourtant car tu es encore loin. Alors tu hurles ta rage à la plaine dénudée, tu descends un braquet et tu pousses de plus belle.

Ce soir-là à Vendôme j’ai rêvé de vélo et j’entendais encore, la tête sur l’oreiller, les bruits de la machine. J’appréhendais le troisième et dernier jour, repartir encore une fois, quatre-vngt kilomètres nous séparaient de l’arrivée ultime. Pourtant, ce fut ludique et primesautier toute la journée, du petit chemin de terre pierreux, technique et délicieux malgré les cahots qui suppliciaient nos arrière-trains meurtris, à la dernière échappée avant le point final, à jouer au chat et à la souris avec Florian, tout autant épuisés qu’on était, mais sans qu’aucun des deux ne puisse imaginer se laisser distancer.

  • Jour 1 : 66 km (Saint-Pierre-des-Corps » Chenonceaux » Montrichard).
  • Jour 2 : 108 km (Montrichard » Chambord » Blois » Vendôme).
  • Jour 3 : 80 km (Vendôme » Courcelles-de-Touraine).

Et au bout de tout ça ? Le souvenir d’en avoir bavé, ensemble, et la fierté de l’avoir fait.

Spécial merci à Greuh et Michaël pour l’organisation, et à Kathy pour l’assistance sur tout le parcours.

2 réponses à “L’arrache-corps”

  1. mathilde a dit :

    pérégrinations, parégrinations, c’est un peu léger comme mot. Plutôt gros effort pas donné à tout le monde, même à ceux qui vélocyclopèdent, non? pff, rien que d’imaginer l’effort en question, je suis fatiguée, mais fatiguée…

  2. Moon&Stars a dit :

    Bravo pour ces performances et l’art du récit !

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