Le quart de siècle américain
La crise de la vingt-cinquaine m’a été – m’est encore, restera – un passage pénible, la déchirure définitive du cocon de la jeunesse.
Cela fait deux ans que j’ai franchi le cap. Souvent, les gens rient, car rares sont ceux qui veulent regarder en face la détresse qu’il y a derrière la crise de la vingt-cinquaine. Pourtant, depuis deux ans elle me taraude, me mine, et je sais qu’elle ne s’en ira, contrainte et forcée elle aussi de laisser sa place à une génération montante, que poussée dehors par la crise de la trentaine.
Vint-cinq ans. C’est l’âge, pourtant, où l’on cesse définitivement d’être jeune. Le moment, en tous cas, où la société m’a asséné sans crier gare cette vérité qu’on devrait ne découvrir que petit à petit, pas plus d’un jour à la fois, en prenant de la vie à petites gorgées comme d’un poison tranquille dont on ne veut mourir qu’à petit feu. C’est la fin de la carte 12-25, des réductions au ciné, et de l’impression d’avoir sa place dans les soirées étudiantes (quoique…)
C’est aussi l’époque à laquelle j’ai connu, de nouveau, la solitude, vieille compagne de longtemps perdue de vue, mais qui voulut encore de moi quand je l’ai retrouvée, et qui ne me tenait pas rigueur de l’avoir si longtemps délaissée. Me retrouvant alors en tête-à-tête avec mon miroir, je me suis souvenu que j’avais oublié, adolescent, de vivre ces folies, cette période où la certitude de sa propre invulnérabilité permet au (plus si) petit d’homme de faire ce dont tout un chacun sait que c’est impossible. Et que cette période-là, avalée par le temps, avait été refermée, engloutie, pour ne jamais reparaître. Au revoir, mon enfance, le peu de souvenirs obérés par celui seul d’une mort obsédante qui m’a vieilli avant l’âge.
L’âge, donc, où l’on revient, le quart de siècle. C’est celui où mes amis, que j’ai l’impression de ne connaître que d’hier, sont déjà des compagnons de route avec qui j’ai parcouru tant de chemin. C’est celui où on ne dit plus « ils sont ensemble », mais « ils sont mariés ». La nouvelle génération, elle, pointe le bout de son nez, et le bonheur de l’accueillir se teinte de mélancolie comme l’espoir de donner la vie semble chaque jour plus ténu. Vingt-cinq ans, c’est peut-être plus tôt qu’il n’est raisonnable pour penser à ceux qui viendront après nous, mais après tout c’est le premier moment, au soir de la jeunesse, où l’on ne peut plus sans cécité coupable faire entièrement l’impasse sur cette réalité.
Vingt-cinq ans, c’est le début de la peur. La camarde vient de s’inviter à la soirée. Elle est encore fraîche et maquillée, dans ses atours brillants, mais c’est le quart de siècle américain, et c’est moi qu’elle invite. J’espère qu’elle va danser jusqu’au bout de la nuit, et qu’elle attendra l’aurore avant de reprendre sa faux au vestiaire.
Avant cela, pour toi qui n’est pas encore un projet, juste une idée, la mienne, mais qui me tient à cœur, pour transmettre et vivre un peu en toi, pour que la vie continue, j’espère qu’elle me laissera le temps de rencontrer celle qui sera ta maman.
10 janvier 2005 à 20:43
ton texte j’en ai presque pleuré ….
18 février 2005 à 13:19
Qu’est-ce qui est le plus déroutant ? Se dire des autres « ils sont mariés » ou se dire « je ne le suis pas » ?
18 février 2005 à 14:45
« Ils sont mariés », c’est déroutant. « Je ne le suis pas » (enfin, surtout, « je suis tout seul »), c’est déprimant.
6 juillet 2005 à 23:13
Non mais c’est vrai quoi, c’est quoi tout ce barouf sur les trentenaires, comédies sentimentales de trentenaires parisiens, chansons chiantes de Vincent Delerm et compagnie? 25 ans c’est la méga-prise de tête. Mais je ne suis pas d’accord avec cette vision très linéaire de la crise de la 25 aine (du style: argh, je ne suis pas marié et je vais bientôt mourir!). En vérité, c’est la confrontation avec le milieu professionnel et le rétrécissement des choix qui restent à faire qui fait flipper: (certains de) mes collègues ont des vies de cons, quelles sont les dernières choses que je peux faire pour ne pas finir comme eux? Par ailleurs, je crois que la création de la catégorie ‘jeunesse’ entre les catégories tout aussi contestable de ‘enfance’ et ‘vie martiale’ renforce le poids symbolique des chiffres. En gros j’en bouffe le maximum tant que je peux et après je me range, je prends un crédit sur trente ans et je fais des mômes. Ce schéma n’est valable que pour autant qu’on l’accepte. Je n’ai pas de directive à proposer à qui que ce soit (j’en ai bien trop à gérer avec mon propre merdie perso), mais je pense que persistance de la possibilité de la bifurcation est, à cet âge, une chose passionnante. Bon, il est tard.