Tête en l’air
En ce moment, j’égare tout. L’autre soir, en revenant de chez Gluon, j’ai oublié mes gants dans le taxi. Là, ils sont perdus de chez perdus. Lundi encore, la totale. Oublié le GSM à la maison, la carte Intégrale au bureau. Ça m’a coûté deux tickets de métro, que ça me serve de leçon.
Et puis on m’a demandé l’autre soir : Mais au fait… Qu’est-ce que tu as fait de ta timidité ?
Là, un blanc. C’est vrai qu’à ce moment-là j’avais la tête ailleurs, les yeux dans les siens et l’esprit occupé à courir après mes lèvres qui s’approchaient des siennes.
– Ah, ça, c’est une excellente question. Je perds tout, en ce moment, je suis si étourdi…
En vérité, je ne sais pas ce que j’ai bien pu en faire. On m’avait pourtant fait valoir, étant petit, l’importance vitale de bien ranger ses affaires pour éviter ce genre de mésaventure. Il fallait néanmoins se rendre à l’évidence. L’objet de la question demeurait introuvable. Il me semblait me souvenir, pourtant, l’avoir eue sur moi quelques heures seulement auparavant. Je me rappelais distinctement cette confortable petite coquille capitonnée à l’intérieur de laquelle sentiments, désirs et pensées s’ébattaient gaiement sans que rien ne transparaisse à l’extérieur. Cette image était si vivace que l’idée même de l’avoir perdue en chemin, sans m’en rendre compte, me laissait incrédule, pour ne pas dire dubitatif.
Et puis j’ai encore l’impression de retenir mes gestes, de choisir mes mots. De toujours conjuguer le sous-entendu avec le démenti plausible, de nourrir le paratexte de tout ce que la bienséance interdit au discours, de jouer du regard avec bien moins d’hésitation que des mots. Le pouvoir de la parole est tel qu’il me reste une vieille crainte de (me) blesser avec, fût-ce seulement par maladresse.
Peut-être est-ce pour ça – parce que je ne saute pas sur toutes celles et tous ceux qui me plaisent – que j’avais l’impression d’avoir gardé encore un peu de timidité. Mais finalement, je crois qu’elle s’est envolée pour de bon.
23 mars 2005 à 01:37
Bonne idée de me linker, je deviendrai célèbre et riche et je pourrai ainsi t’offrir des gants en remplacement de ceux que tu as perdus. Tu es un malin 😉
23 mars 2005 à 15:45
J’adore ce petit texte! Très humain… Ca m’évoque Buzatti.
A propos de la timidité, mon expérience personnelle! J’ai longtemps cru que j’étais timide. Mais, en fait, je ne suis pas timide: je n’ai aucune conversation! 😉
Sinon, question habituelle: c’est qui?
23 mars 2005 à 15:54
Concernant ta conversation, mon cher SoK, l’expérience a souventes fois prouvé le contraire. Une bonne table, quelques amis, et te voilà volubile – ne le nie pas, on t’a vu !
Réponse habituelle : don’t even think of asking.
23 mars 2005 à 19:43
« j’ai perdu ma timidité » superbe. c’est juste superbe.
23 mars 2005 à 20:18
je dirais même plus, c’est superbe.
24 mars 2005 à 00:59
En effet SoK, je confirme. A notre plus grand plaisir d’ailleurs!
Et puis c’est si thrilling ce moment où on se dit « mais merde où qu’elle est ma timidité?… » et puis après un court instant « mais je m’en fous!!! » :o)
24 mars 2005 à 13:19
La timidité fait aussi parti des aspects charmants d’une personnalité : on n’a de cesse, lorsque la personne timide vous plaît, que d’essayer de briser la glace pour entendre quelque parole échapper… se prendre à croire que pour soi la coquille va briser et laisser transparaître l’être caché derrière l’illusion du mutisme.
5 avril 2005 à 22:25
Le deux… lèvres, yeux… contre le une… timidité… l’a poussée à finir son envol…
Le une… timidité… contre le deux… êtres… n’a pu résister…
Le un… souffle… contre le une… tête… la lui a fait perdre…
Histoire d’air en tête…