Médecin de nuit
Elle s’est tailladé la peau. Abattu et choqué, c’est lui qui m’a appelé. Il n’avait pas la force de faire ce qu’il y avait à faire.
J’ai appelé le 15. Il fallait quelqu’un, vite. Au moins pour nous rassurer. Puis ç’a été le standard des médecins de garde. On a peur qu’elle réitère. Elle voulait bien le voir, alors ils ont envoyé le médecin de nuit.
Je l’ai accueilli en bas. C’était plus simple que d’expliquer par l’interphone le dédale d’escaliers et de couloirs. Il trimballait son énorme sacoche brune. Une vraie sacoche de toubib, parée sans doute à soulager mille maux. Il est entré et il a demandé comme ça, bon, qui est-ce qui a fait des bêtises ? Il ne s’encombrait pas de formes. On s’est éclipsés tandis qu’il commençait à examiner les plaies. L’entrée en matière ne nous avait qu’à moitié convaincus. Il savait sans doute gérer le mieux une gastro foudroyante ou un bébé qui tousse, mais le mal du dedans de la tête, de sa tête à elle ?
On a attendu en bas sur le trottoir.
On a continué d’attendre. On s’est dit que c’était bon signe, finalement. Que ça devait parler, là-haut.
Une demi-heure plus tard, il est sorti de l’immeuble. Il est plus de minuit. Debriefing sur le trottoir. Il n’a pas peur pour elle. Elle n’a pas retenu les mots, il a écouté, saisi. Les lunettes demi-lune sur le bout du nez, il nous brosse le portrait qu’il s’est fait d’elle, pointe les lézardes qu’on connaît si bien et les bouées auxquelles la raccrocher. Il nous sourit. Je crois qu’il trouve ça bien, qu’on ait été là auprès d’elle.
Et puis il nous parle de ses enfants à lui, ils sont grands, ils sont partis de la maison… Ils doivent avoir à peu près notre âge. Ou nous le leur. Il prend ces cinq minutes de plus, en marge, au creux de la nuit qui commence, pour prendre soin de nous, aussi, un peu. Il est sans doute loin d’être couché. Mais je sens qu’il est profondément dans son élément. Au cœur des heures sombres, il veillera.
Il s’éloigne. Se retourne. Allez, bonne nuit, les garçons.
26 janvier 2009 à 08:41
Pierre Desproges disait que les copains se comptent sur les mains des choeurs de l’armée rouge, et les amis sur les doigts d’une main. Il y a manifestement une autre différence: les amis sont ceux qu’on appelle quand ça va réellement mal.
J’espère qu’elle va bien.
26 janvier 2009 à 14:03
Bravo d’avoir été capable (et d’avoir su être là à l’époque et de l’écrire à présent). Ni l’un ni l’autre ne sont donnés.
31 janvier 2009 à 23:11
Hommage aux médecins de nuit, aux médecins impliqués, au savoir immense et à la sacoche pleine, aux paroles réconfortantes et justes.
Et hommage à vous d’avoir aidé.