1992, année 15 — Arcadie
D’abord il y a eu un jeu de mots. Un enchaînement de rebonds, une passe à dix de libre association sauvage. Entre un exercice de voix et une impro, dans la grande salle de vieux béton nu où se réunissait l’atelier théâtre, chacun à son tour proposait le premier mot qui lui venait en tête. Ça a commencé absurde et drôle, et puis ça s’est tressé de plus en plus serré jusqu’à ce qu’on contemple l’évidence et qu’on voie se dérouler, presque malgré nous, l’Amour, la Mort, le Désir et l’Interdit. On en a presque eu peur.
Et puis de ces mots bruts, on a fait un texte, une pièce de théâtre. Arcadie, mon amour, une pièce de jeunes révoltés dans une société où l’amour aurait été interdit. On l’a jouée dans notre petite salle polyvalente de banlieue. Et puis on a emmené le spectacle tourner au Québec, avec un autre groupe de l’association. Eux jouaient L’Art de la chute de Guy Foissy.
On est partis, donc, une trentaine de jeunes, de moins jeunes. Quelques jours à L’Acadie, puis Montréal. Trois représentations pour chaque spectacle. Et pour finir, quelques jours au bord d’un lac : trois semaines au Québec.
J. et C., mes camarades de scène, n’avaient pas traîné pour se trouver des copains sur place. A. la jolie petite blonde de l’autre spectacle, elle, n’avait sans doute pas trouvé de jeune montréalais à son goût. Ça tombait bien, elle me plaisait. Ce soir-là on rentrait en petit groupe, à pieds dans Hochelaga-Maisonneuve, d’une balade à la fraîche. On s’était arrêtés à l’étal d’un marchand acheter quelques pêches juteuses. J. marchait près de Doug, C. près de son cheum à elle, j’ai oublié son prénom.
A. était tout près de moi et dans un élan de courage ou d’inconscience, j’ai passé mon bras autour de ses épaules. Elle n’a rien dit et nous avons continué à marcher le long d’Ontario Est dans le soleil couchant.
Quinze de trente petits cailloux.
7 août 2007 à 06:59
« A mi-chemin », Thomas, c’est le titre d’un recueil de nouvelles de Sam Shepard, un homme de theatre lui aussi.
Passe un bel ete.