Vertige lexical
C’est la sensation qui te saisit quand tu t’aperçois d’un coup que pendant toutes ces années, tu croyais savoir ce que veut dire un mot. Et puis un jour tu finis par ouvrir le dictionnaire TLFi. Et là, c’est le drame. Le gouffre, l’abîme, la chute. Un vocable s’écroule, et avec lui tout un morceau de monde à réagencer.
Une vie de patachon, j’avais toujours imaginé ça plutôt cool. Quelque chose entre celle d’un coq en pâte et la mollesse d’un polochon. Une douce quiétude, un brin sirupeuse, un rien adipeuse. Calife Haroun-el-Poussah–style. Jusqu’ici tout allait bien, je me contentais de cette idée-là, je m’y complaisais même, puisque c’était le genre.
Mais depuis quelque temps un drame couvait. Mes soirées et mes nuits occupées jour après jour, à courir sans relâche de la piscine à la chorale, d’une bouteille de bière à une flûte à champagne ou à un diabolo-menthe suivant l’état de sortie au décours de l’itération précédente, à faire des courses entre les deux tout en répondant au téléphone et en entamant des travaux majeurs de maçonnerie buccale entre deux séances de chirurgie réparatrice appliquée au plafond du salon, qui en avait bien besoin.
Je reprenais mon souffle après avoir raconté à N. par le menu cet emploi quasi-ministériel de mon temps présent, à l’exposé de quoi elle commentait : « Quelle vie de patachon ! »
Silence et interlocation s’emparèrent de moi. Quoi, comment donc, mais qu’entendait-elle donc par là ? Moi qui aurais plutôt parlé d’une vie de bâton de chaise, me vautrais-je sans le savoir dans de mols duvets de plume en bouffant des loukoums ? L’incident passa par les pertes et profits d’une conversation qui allait bon train, et je l’aurais probablement oublié si l’expression n’avait pas refait surface, quelque temps après, et dans des circonstances à peu près similaires à ceci près qu’elles me trouvaient cette fois avec sous la main de quoi vérifier sur-le-champs ce que le lexicographe avait pu consigner sur le bon usage du terme.
Vie instable, mouvementée et dissolue telle qu’on la prêtait aux conducteurs de pataches, ces mauvaises diligences bon marché de l’ancien temps. (Le bâton de chaise n’était donc pas si loin.) Le contresens était énorme, total. Mais d’un coup j’ai compris pourquoi j’aimais bien lire les aventures d’un taxi de nuit.
13 novembre 2006 à 07:31
Tu me donnes envie de remercier l’Université de Bordeaux I : c’est un (excellent) chargé de TD qui m’y a appris l’expression, pendant un TD de programmation. Non, il ne parlait pas de moi. Pas cette fois-ci en tout cas.
13 novembre 2006 à 09:31
J’aime beaucoup le ton et le style de ton blog. Je le découvre. Je vais y revenir … !
laurent
13 novembre 2006 à 12:28
Et du coup je ne déteste pas te lire non plus… 😉
13 novembre 2006 à 15:42
Ma mère emploie en permanence cette expression dès qu’elle voit une malheureuse cerne sur le visage de ses enfants ou qu’elle entend une voix un peu faible au téléphone ^^
Je pense que le faux sens (ça me rappelle les « fs » en rouge dans la marge qui me faisaient perdre 2 points en version latine) vient de « patachon » qui rappelle patache… pâte à choux => tout mou.
google vient de m’apprendre que Patachon.. c’est aussi une famille!
http://patachon.net/
13 novembre 2006 à 17:07
je dirais juste :o)
14 novembre 2006 à 10:17
d’où le patachon de mon capcha… 😉
15 novembre 2006 à 14:35
Pour moi dire de quelqu’un qu’il a une vie de patachon, ça tient un peu de la vie d’un épicurien…
21 novembre 2006 à 17:59
ce qu’Euquinorev a contracté en « vie de patachaise » … ce que je trouve très mignon !!
(repose toi sinon les valises vont s’incruster 😉 )
biz
(Ps : je trouve génial qu’on puisse avoir un apperçu du comm’ qu’on est en train de taper tout en le tapant ;))))
23 novembre 2006 à 19:25
Le Patachon moi j’ai tendance à le considérer plus « dissolu » que « mouvementé », du coup ma dérive de sens personnelle, si elle n’est pas un faux sens, c’est que le patachon il sort en boîte jusqu’à 5h du mat’ en semaine et il fume et il boit 🙂
Ce qui est inexact, et d’ailleurs stricto sensu je suis une patachonne depuis quelques semaines, je cours partout et c’est pas la fête!! :-))
PS: on a le même dico