Chonchon au réveil
J’étais chonchon au réveil. Enfin, pour autant qu’on puisse parler de réveil quand on vient de passer deux ou trois heures plié en douze sur un coin de banquette arrière de Micra presqu’entièrement occupée par une rousse endormie, le dos meurtri par les machins de plastique saillant de la portière, tâchant tant bien que mal de trouver une position qui ne me vrille pas simultanément plus de trois articulations fragiles.
Forcément, au petit matin, c’était facile, en mon for intérieur, de déléguer la responsabilité de ces petits désagréments à l’ami qui avait beaucoup picolé, et occupé l’ensemble de la partie avant de l’habitacle pendant une partie de la nuit.
Je l’ai vu partir très progressivement, très doucement, lors de cette nuit blanche. Tôt hier soir, séducteur, beau parleur, il était impeccable, brillant comme à son habitude auprès des filles et des garçons, sachant à la fois fasciner et faire parler ses interlocuteurices. Je l’enviais de sa facilité à capter l’attention de l’amie au charme extraordinaire. Bien sûr ils ont des goûts musicaux communs. Bien sûr il peut en parler des heures. Et bien sûr il l’a amenée à le laisser entrevoir un peu de son intimité. Elle lui parlait librement déjà.
Et puis bière après verre, cocktail après p’tit joint, son discours s’est fait moins ciselé, ses jeux moins délicats. Je restais silencieux, observateur, toujours en retrait des conversations des uns et des autres, auxquelles je n’arrivais pas à prendre part. Je n’ai guère discuté avec les gens que je connaissais. J’ai encore moins su me mêler aux autres groupes déjà constitués.
L’amie extraordinaire nous a dit au revoir, elle est rentrée tôt. Nous avons continué cette nuit, moi âme errante, cherchant l’oubli sur la piste de danse, lui glissant peu à peu vers un air de tristesse que seul un ange aurait pu un peu apaiser.
Quand tout le monde s’est entassé dans la voiture, je suis resté dehors, surnuméraire et frigorifié. J’ai attendu le petit jour près du grand brasero. C’était l’heure où l’on partageait le rhum orange entre derniers vivants. L’heure où dire un peu n’importe quoi n’avait plus vraiment d’importance, où bientôt le jusant de la nuit qui se retire laverait les visages et les âmes.
Endolori et épuisé, déçu d’avoir été encore incapable de lui parler à elle comme il sait si bien le faire, amer de n’avoir pas socialisé avec les autres invités, enragé de n’avoir pas réussi à négocier une place dans la voiture pour dormir un peu, c’était tentant, aisé, de me prétendre que je n’étais pas responsable de toutes mes frustrations.
Alors j’ai fait un peu la gueule, jusqu’au premier café.
10 juillet 2005 à 19:00
Pourquoi ne pas essayer de voir « cette amie extraordinaire » sans lui… En tout cas ton texte est très beau.
11 juillet 2005 à 11:12
Oui hein, c’est dur la timidité des fois…Mais peut être qu’elle te regardait du coin de l’oeil, n’écoutant que d’une oreille distraite ce parleur si bien rôdé en se disant: » Pourquoi c’est pas lui qui me parle? Pourquoi je plais toujours à celui qui faut pas? » Tu sais, les filles aussi sont timides… Sourires.
11 juillet 2005 à 12:39
Juste une question, quelqu’un connait l’étymologie du mot « chonchon » ? De grincheux peut être… enfin ça me turlupine..
Merci
11 juillet 2005 à 12:56
J’aurais tendance à rattacher cela à ronchon, qui ronchonne, mais c’est purement spéculatif.
11 juillet 2005 à 14:04
poétique et beau comme d’hab.ouais. vraiment. Tu m’as manqué à Grignan; comme d’hab… mais comme tu le sais, j’ai sû « socialiser »…
je te brasse euh, t’embrasse
J’M.
11 juillet 2005 à 15:19
luciole: merci pour celui qui faut pas
11 juillet 2005 à 16:25
L’ami en question: Mais de rien… Sourires…
11 juillet 2005 à 17:18
Thomas, tu sais bien que nous t’aurions laissé une place sans rechigner dans cette voiture. Que tu aies perçu comme une exclusion cet instant je le conçois bien, mais c’est un sentiment qui vient de toi…
12 juillet 2005 à 16:05
Plains-toi de ton mal de dos. Moi, on m’a écrasé pendant toute la nuit.