Archive pour la catégorie Le vaste monde

Un lundi au soleil, fragment 2 — Ça plane pour moi

vendredi 21 avril 2006

Petit, j’avais appris, comme tous les enfants d’homme, à marcher debout, en avant, en arrière, parfois sur le côté aussi. Mes horizons s’appelaient Nord, Sud, Est et Ouest, et la terre sous mes pieds me rappelait que c’étaient là les quatre seules directions par où mes pas iraient.

Mais cette semaine, j’ai accroché à mon dos un réservoir d’alu, chaussé des nageoires de plastique, et fait « un pas de géant ». Le sol s’est dérobé et l’eau m’a enveloppé, tiède. Partout présente.

Le gilet stabilisateur se dégonfle, je ne flotte plus, je glisse doucement vers le bas. Une troisième dimension d’espace vient de s’ouvrir : je peux enfin voler ! Oiseau, ou peut-être poisson, je découvre petit à petit comment monter, descendre, me poser en douceur sur le fond sablonneux. J’apprends à jouer avec mes poumons, pour flotter un peu plus, un peu moins. Je découvre aussi que je peux monter ou descendre d’un simple coup de palmes. Dans ce monde, je suis un nouveau-né : je fais connaissance avec une nouvelle façon d’être-là et de me déplacer.

J’avais oublié le temps. Maintenant, je redécouvre l’espace. Sous l’œil circonspect d’un requin à pointe blanche, d’une murène tachetée, j’apprends la liberté.

Un lundi au soleil, fragment 1 — L’envol du temps

mercredi 19 avril 2006

La journée n’avait pas été de tout repos. Le matin tôt, j’avais fermé la maison pour la semaine, et j’avais embarqué pour le bureau chargé comme un baudet, avec armes et bagages, et aussi cette pointe d’angoisse qui accompagne chaque départ pour une contrée lointaine. Une journée de travail remplie au maximum pour libérer ma tête des affaires en souffrance avaient finalement gommé la peur sournoise qui me nouait les tripes, et la fatigue l’avait même transmuée en une ivresse joyeuse et inoxydable. Tous ensembles nous partions pour un coin de paradis sur Terre.

À près de neuf mille kilomètres de là, nous descendons de l’avion. Sorti sur le tarmac en tenue parisienne, je marche quelque pas dans la moiteur brûlante avant de m’arrêter là, tant il est impérieux, par simple réflexe de survie, de quitter sur-le-champ pull et blouson. Le hall est heureusement climatisé. Nous confions nos bagages aux GO venus nous accueillir, et nous nous posons là, à la terrasse du bar, terrassés de chaleur.

Épuisé par la dette de sommeil des jours précédents conjuguée aux heures de sommeil tordu sur un siège de charter, hébété de lumière et de canicule, je ne sais déjà plus très bien quel jour on est. Je ne sais pas très bien non plus quelle heure il est, et à ce moment-là en vérité cela n’a pas vraiment d’importance. Je ne pense même pas à régler ma montre sur le fuseau horaire local. Tout cela me devient étrange, étranger, je sens confusément que j’ai perdu de vue ce que pouvaient signifier ces aiguilles qui se courent après sur mon poignet.

Pour un moment fugace, le temps se défile, sa trame se relâche, et je glisse entre les mailles.

Un lundi au soleil

mardi 18 avril 2006

Silence radio complet la semaine passée… car j’étais à neuf mille kilomètres de la maison, et hors d’atteinte de toute espèce d’accès Internet. J’ai ressorti les cahiers et les crayons, noté ce qui me passait par la tête, et surtout profité du soleil, du sable blanc et de l’eau turquoise du lagon. Dès demain, le soleil des Maldives s’invitera ici pour quelques pages du carnet de voyage.

Escapade toscane

jeudi 8 septembre 2005

J’ai d’abord découvert Florence dans la tiédeur de la nuit. C’était le début de septembre ; j’arrivais de Milan par le train.

J’ai perdu mes pas dans ses ruelles, à la lueur des quelques réverbères. J’ai croisé sa jeunesse en innombrables grappes animées, assis sur tout ce que la ville compte de marches, de bancs de pierre et de margelles de fontaines tant de fois centenaires. Sous le regard débonnaire des vieilles statue, elle s’assemble le soir pour une bière entre amis ou un concert de jazz en plein air, Piazza Santo Spirito.

Aujourd’hui de nouveau j’ai battu le pavé, le nez en l’air. La pierre rugueuse de la cité, ocre, jaune, si chaude, m’entraîne dans les méandres organiques de l’Oltrarno. Une porte cochère dans une rue anonyme, une façade sans attrait… Oui, mais voilà, je suis curieux, la ville s’entr’ouvre, belle impudique, elle se laisse voir un peu.

C’est la cour d’une grande maison. Une fresque, des statues, m’attendent derrière la grille. On dirait qu’elles ont été mises là comme par malice, pour récompenser d’une friandise indécente le piéton qui aura détourné ses pas, l’espace d’un instant.

C’est comme cela, ici, qu’on vole des petits bouts d’éternité.

Les trottoirs de Broadway

samedi 27 août 2005

Nous venions d’atterrir, deux heures plus tôt, à l’aéroport JFK. C’était un après-midi de fin d’été et, tous les trois, nous marchions sur le béton défoncé des trottoirs de Manhattan, dégustant qui un bagel, qui un muffin en partageant une bouteille d’iced tea.

Avec l’habitude enracinée du piéton parisien, je m’ingéniais à traverser les rues sans vraiment tenir compte des feux, du moment que la voie était libre. Mon collègue enrageait, qui se sentait perdu dans cette ville étrangère et préférait attendre la bénédiction du signal lumineux avant de s’engager dans la traversée des larges artères. Le regard pétillant d’indiscipline légère, comme un poisson dans l’eau entre bitume et gratte-ciels, je l’attendais, hilare, de l’autre côté de la rue. Cela faisait deux heures qu’on était ici, et je m’y sentais bien, je m’y sentais chez moi.

Personne n’est étranger à New York. Personne n’est américain, bien sûr, les gens d’ici sont de toutes les couleurs, de tous les accents, ils n’ont pas les mêmes dieux, pas les mêmes yeux, mais ils sont tous d’ici et nous aussi participions de cet endroit un peu spécial. De cette ville cabossée de partout, aux trottoirs lézardés, aux façades de brique déchirées par le zig-zag des escaliers de secours, de cette grille parfaite… ou presque, des immeubles de verre et d’acier lisses et des roulottes à bagels au coin de la rue.

Nous sommes passés par Herald Square, au coin de Broadway et de la Sixième avenue (Avenue of the Americas). Quelques tables de jardin dans un coin de verdure, qui semblent presque incongrues au cœur du mouvement de la foule et de l’animation ininterrompue du quartier, accueillent celleux d’ici comme les gens de passage pour un moment de pause.

Nous marchions dans l’air idéal d’une belle journée d’août. Nous étions un peu citoyens de la capitale de l’univers.

Out in Bangkok

dimanche 30 janvier 2005

Bangkok, c’est une ville où il fait chaud. Ici, c’est l’hiver. Il fait 33°C, et quand le soir tombe (et qu’on s’attend à ce qu’il fasse plus frais) la moiteur de l’air devient presque étouffante. C’est une ville très étendue, qui s’étale, tentaculaire, sur des kilomètres de rues enchevêtrées repérées par des numéros qu’il ne faut pas manquer si l’on veut descendre à bon port de l’autobus local. On peut aussi prendre le moto-taxi, ça fait un peu peur mais ça va très très vite (surtout dans les embouteillages). Le métro étant fermé depuis plusieurs semaines, il ne reste que le Skytrain (métro aérien) comme chemin de fer local. C’est déjà bien, et si seule une partie de la ville est desservie, les trains sont rapides, fréquents, et climatisés. On doit pouvoir y prendre froid, même.

Le coucher de soleil sur la ville est toujours spectaculaire. Quand il fait noir, on peut se promener dans le marché de nuit pour faire ses courses de contrefaçons à la mode et de raquettes électriques pour croisade anti-moustiques. On peut aussi sortir en boîte pour danser un moment avec de petites Thaïs de petite taille… Ou prendre un cocktail dans un bar chic qui domine le gigantesque patchwork de la cité tropicale.

C’est chouette, les vacances.