Archive pour le 7 octobre 2007

2001, année 24 — Un avion. Non, deux.

dimanche 7 octobre 2007

J’ai oublié le matin. Un mardi ordinaire à l’orée d’une troisième année de thèse. J’ai dû bosser sur la présentation qu’on ferait à Rome dans quelques jours. Je suis connecté sur IRC. J’y jette un œil distrait.

Un avion vient de percuter le World Trade Center !

On n’y croit pas, pas vraiment. C’est une blague ? Les sites de news en parlent déjà. C’est trop gros, trop énorme. Chercher quelques infos, ça prend quelques minutes. Assez de temps en tous cas pour que les informations semblent contradictoires : Non, pas un, deux !

C’est le début de l’après-midi. Mais à partir de là je crois que ma journée de travail est suspendue. J’appelle µ qui a un cousin sur place. Laisse un message sur son répondeur. Ce n’est encore qu’un spectaculaire accident. Waouh, t’as vu ça ?

Je travaille aussi avec une entreprise de Manhattan. Me demande si tout le monde va bien. Je me connecte là-bas. Les machines ont l’air de répondre normalement. Le boss est connecté aussi. Je le prends en conversation privée.

– Hi Robert, just wanted to know if everything is OK on your side?…
– Hmmm, yes, sure, I’m on a business trip in Amsterdam, what’s up?

Il ne sait pas encore ce qui vient d’arriver à quelques centaines de mètres de sa maison et de son bureau…

– Two planes just crashed into the Twin Towers…
– Oh my god, is this for real???
– I’m afraid it is…

Ce jour-là j’étais Cassandre.

Tout le département a passé l’après-midi devant l’image neigeuse de TF1, projetée sur un mur entier dans la salle de réunion. Saisis et incrédules comme un milliard d’autres humains qui ne comprenaient pas encore ce qui venait de se passer. Médusés lorsqu’une tour puis l’autre a vacillé. Stupéfaits de voir en quelques secondes un invariant de l’univers – les deux silhouettes élancées sur la skyline – se déchirer sous nos yeux.

Cette semaine là j’ai peu dormi. Onze heure après que les tours se sont effondrées, les centraux de télécommunications du Sud de Manhattan sont arrivés à court de gasoil. Les groupes électrogènes se sont éteints. La liaison Internet du bureau de New-York s’est tue. Seules quelques lignes téléphoniques fonctionnaient encore, et j’ai passé mes nuits à acheminer à travers le chaos au moins le courrier urgent, avec ce qu’il restait de moyens du bord. C’était le feu et la cendre, la poussière, la désolation. Mais le mail passait.

Ingénieur, c’est mon métier. Je l’aime et, parfois, j’en suis intensément fier.

Vingt-quatre de trente petits cailloux.